(septembre 2007)
1.
Pour des raisons pratiques évidentes, le traitement fiscal des gains tirés de la participation à des tournois ou parties de poker suscite un vif intérêt de la part des joueurs de poker, qu'ils soient amateurs ou "professionnels".
A cela plusieurs raisons, dont notamment (i) la traçabilité des gains sous forme de virement ou de chèque étranger en provenance des sites de poker en ligne, (ii) la publicité donnée tant par certains magazines que par les sites dédiés aux gains des joueurs, (iii) la professionnalisation du jeu.
Des amateurs de plus en plus nombreux décident en effet de consacrer à cette activité une partie substantielle de leur temps, certains allant même jusqu'à se donner une période plus ou moins longue afin de jouer et de décider, en fonction de leur résultat, de cesser toute autre forme d'activité.
2.
Dès lors que le gain est identifié, la question de son traitement fiscal se pose, quelle que soit son origine, qu'il provienne des poker-rooms virtuelles, de la fréquentation d'un cercle de jeux, d'un casino ou de la participation à des parties privées.
L'article 92 du Code général des impôts (CGI) assimile à des bénéfices non commerciaux (BNC) les profits provenant de :
"toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profit ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus".
Cet article "balai" a pour effet d'appréhender et de taxer dans la catégorie des BNC les revenus provenant des professions ou activités très diverses, qu'elles soient réglementées (agents commerciaux) ou non (prostitués, voyantes, guérisseurs,...), ou qu'il s'agisse d'activités illicites (détournement de fonds, proxénétisme).
L'article vise également les profits occasionnels susceptibles de renouvellement.
3.
Par principe, l'administration fiscale considère que les gains perçus à l'occasion de jeux de hasard ne sont pas imposables, quelle que soit la régularité de la pratique ou l'importance des gains qu'elle procure.
Pour l'administration, il s'agit de gains en capital qui, par nature, ne sont pas imposables en tant que revenus.
Par une décision remarquée du 21 mars 1980, le Conseil d'Etat a notamment estimé, au visa de l'article 92 du CGI (la juridiction devait statuer sur la réintégration dans les revenus imposables des gains de "tiercé" d'un contribuable) :
"Sauf circonstances exceptionnelles, la pratique, même habituelle, de paris sur les courses de chevaux ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de revenu au sens de ce texte, alors même que le montant des gains provenant de ces paris au cours d'une année serait supérieur au montant des bénéfices ou revenus imposables déclaré par le contribuables au titre de ladite année".
La présence de l'aléa interdit ainsi de considérer les gains résultant de la pratique d'un jeu de hasard comme provenant d'une occupation lucrative ou d'une source productive de revenus ; ces gains ne sont pas imposables.
La seule circonstance que le jeu constitue pour le contribuable (i) une activité habituelle ou (ii) une source régulière ou importante de gains ne suffit donc pas, en tant que tel, à rendre ces derniers imposables dès lors que la source du "revenu" est, en principe, tout à fait aléatoire.
4.
Cependant, pour l'administration fiscale sont imposables au titre des BNC les gains réalisés lorsque l'aléa normalement inhérent aux jeux de hasard peut être supprimé ou du moins fortement atténué par le parieur.
Autrement dit, si le contribuable est en mesure de réduire l'aléa et, partant, influencer le résultat par des activités ou diligences personnelles, les gains seraient alors regardés comme le produit d'une occupation lucrative, et, à ce titre, imposables.
Dans une affaire dont a eu connaissance le Conseil d'Etat, le parieur était également propriétaire des chevaux ; il disposait à ce titre d'installation, de matériels ainsi que de personnel lui permettant d'assurer la préparation et l'entraînement des chevaux ; il pouvait prendre des initiatives et se livrer à des contrôles ou des démarches en vue de réduire l'aléa de la course.
Selon l'administration fiscale, un tel parieur est imposable ; il en est de même lorsqu'il est établi que le parieur a pesé de façon frauduleuse sur l'issue de la course.
5.
Bien que cette proposition soit, en pratique, contredite par de nombreux joueurs "professionnels" ainsi que par la multiplication d'ouvrages et de méthodes d'apprentissages, il est peu probable que les tribunaux considèrent que le joueur de poker puisse avoir des "activités" lui permettant de réduire l'aléa, d'autant que, selon la doctrine administrative en la matière, la "simple connaissance du jeu" n'est pas de nature à réduire l'aléa.
Si le joueur influence le déroulement du jeu par sa pratique, sa compétence, son audace, il n'influe pas sur le hasard proprement dit.
On peut donc en déduire que les gains tirés de la pratique du poker ne seraient pas imposables car résultant d'un jeu de hasard sur lequel il ne serait pas possible pour le joueur d'influer.
6.
En matière de cartes, une décision significative a été rendue le 12 juillet 1969.
Il s'agissait d'un gérant d'une société commerciale qui, durant trois ans, avait cessé toute exploitation ; son revenu provenait de son "activité" de joueur de bridge.
Annulant le redressement dont il avait fait l'objet, le Conseil d'Etat a considéré que :
"Les gains qu'il a réalisé en qualité d'amateur ne peuvent dans l'exercice de ce jeu être regardés comme constituant la rémunération d'une activité déployée en vue de réaliser un profit, ni comme ayant leur source dans une occupation ou exploitation lucrative au sens de l'article 92 du CGI".
A l'inverse, il résulte de la doctrine administrative (5 G - 116 n°199, 15 septembre 2000) que les profits réalisés par un joueur de bridge professionnel entrent dans la catégorie des BNC.
La question, au demeurant non tranchée, consiste alors à déterminer ce qui permet de considérer qu'un joueur bascule de la catégorie d'amateur à celle de professionnel.
Afin de tracer cette ligne de démarcation, plusieurs critères seront vraisemblablement pris en compte par l'administration, dont notamment (i) l'importance des sommes investies (le "bankroll"), (ii) la proportion du revenu tiré de cette activité, (iii) le temps consacré, (iv) la participation à des événements majeurs, (v) la notoriété.
7.
Il n'est toutefois pas certain, en l'état, que cette décision soit transposable au joueur de poker.
A l'inverse du bridge, le poker est en effet analysé par la jurisprudence pénale comme un jeu de hasard au sens de la loi du 12 juillet 1983.
Dès lors, tenant compte des principes fiscaux ci-dessus examinés, à savoir :
- la pratique des jeux de hasard ne constitue pas, en tant que tel, une occupation lucrative ou une source de revenu au sens de l'article 92 du CGI susceptible d'entraîner une imposition ;
- pour les jeux n'étant pas de hasard, il y a lieu de distinguer la qualité d'amateur (non imposable) de celle de professionnel (imposable).
Les joueurs de poker, dont la taxation des gains (par exercice fiscal) serait recherchée par l'administration fiscale et qui entendent contester cette imposition, devront s'attacher à démontrer que le poker est un jeu de hasard.
Alors même que ces mêmes joueurs prêchent par ailleurs que le poker n'est précisément pas un jeu de hasard?
L'approche divergente entre le droit fiscal et le droit pénal pourrait ainsi susciter un vif conflit d'intérêt entre les joueurs professionnels (recherchant l'absence d'imposition) et les organisateurs de parties ou de tournoi de poker (recherchant la dépénalisation).
Il n'en demeure pas moins que si l'administration fiscale, afin d'entrer en voie d'imposition, se mettait à considérer que le poker n'est pas un jeu de hasard, cette approche permettrait de contester l'application de la législation pénale qui, on l'a vu, puise précisément sa source dans le fait que le poker est considéré comme étant un jeu de hasard.
Si l'on résume le débat à sa plus simple expression, il s'agit de savoir si les joueurs préfèrent jouer librement (et sans restriction) ou gagner sans imposition. En poker comme en droit, il faut parfois faire des choix !
Cela étant dit, si le poker venait, pour des raisons purement fiscales (ou par incidente à une modification de la législation relative aux jeux de hasard), à ne plus être considéré comme un jeu de hasard, il appartiendrait alors au joueur d'établir qu'il ne le pratique pas à titre de professionnel mais simplement en qualité d'amateur, ce qui relève d'une appréciation au cas par cas.
Eric Haber - Avocat associé
Préambule
Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.
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