Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.

(mai 2007)

Eric Haber

1. Le développement des sites proposant des jeux de hasard contre argent, qualifiés de "casinos virtuels" ou "cyber-casinos" bouleverse les habitudes traditionnelles de jeux.

Jusqu'alors privilège des casinos, c'est désormais sur Internet que le joueur, confortablement installé à son domicile (ou sur son lieu de travail), dispensé de tout le contrôle étatique et social attaché à l'acte de jouer de l'argent, et dont toutes les inhibitions sont levées, va tenter sa chance sur un site dont le serveur est implanté dans une "zone de fiscalité privilégiée" mais qui s'avère accessible à plus de 160 pays du monde.

 

Une multitude de jeux est offerte au joueur internaute : paris sportifs, loteries, machines à sous, roulette, et différents jeux de cartes des plus classiques (black-jack) aux plus exotiques (pay gow poker ; let it ride ; carribean stud...).

 

Nombre de ces sites gère et organise des parties de poker, sous toutes ses formes, mais surtout sous sa variante la plus médiatisée et devenue dans l'hexagone un véritable phénomène de société, le "Texas Hold'em" (1), qu'il s'agisse du Hold'em limit, pot limit ou no limit.

 

L'internaute à la recherche d'adrénaline et d'argent a donc désormais la possibilité de participer en ligne à des parties de "cash game" ou à des tournois, véritables compétitions où les droits d'entrée, payés par chacun des participants, constituent le "prize pool" destiné à être reparti entre les meilleurs joueurs qui, après plusieurs heures de lutte acharnée, atteignent les places payées.

 

S'agissant d'un jeu opposant les joueurs les uns aux autres, le site ne fait pas office de "banque" et ne joue donc pas contre le joueur ; il se rémunère par un prélèvement proportionnel (pourcentage plafonné sur chaque pot d'une partie de cash game) ou fixe (quote-part du droit d'inscription à un tournoi).

 

Avant d'engager ses deniers, l'internaute a la faculté de se familiariser avec le site et le jeu en misant de la "play money" (monnaie virtuelle), créditée sur son compte lors de son inscription en ligne.

 

Rapidement, le joueur réalisera cependant que le poker est, sinon "le" jeu, un jeu d'argent et que ses composantes (la relance, le bluff, le gain) n'ont de véritable sens que s'il s'agit de "real money" (monnaie réelle).

2. Alors que l'on assiste à une véritable déperdition des joueurs de casinos traditionnels (ou une captation des joueurs potentiels) vers le net, le poker se singularise.

L'explosion de la fréquentation des salles de poker virtuelles n'entraîne pas pour autant la désaffection des cercles de jeux, bien au contraire. Alors qu'il y a de cela un an, les principaux cercles parisiens réunissaient péniblement une cinquantaine de joueurs, c'est désormais entre 100 et 150 participants (selon le nombre de tables et de croupiers disponibles) qui s'affrontent quotidiennement, aux tournois du matin, de l'après-midi et du soir ; de même, les tables de cash game, dont les listes d'attente ne cessent de s'allonger, ne désemplissent pas à toute heure du jour et de la nuit.

 

Pour les joueurs, le site Internet est souvent considéré comme une salle d'entraînement dont la pratique peut toutefois générer de forts gains ou conduire à de lourdes pertes.

Plus gravement, un phénomène de dépendance comportementale (addiction) peut parfois en résulter ; certains joueurs perdent le sens des réalités comme celui de la valeur de l'argent, étant intimement persuadés qu'ils peuvent vivre de leur passion.

 

Mais cette virtualité a vocation de préparer les joueurs à "la" confrontation, celle qui se déroule dans un cadre réel, autour d'une véritable table (table en "dur" par opposition aux tables virtuelles), avec de vrais jetons (dont l'usage diffère du simple "click" de la souris), à mains et à visages découverts (si l'on met de côté le port de lunettes de soleil, de casquettes et autres baladeurs).

 

Autour d'une table, il est beaucoup plus difficile de dissimuler ses émotions ; chaque joueur est soumis à la lecture de ses adversaires dont certains, expérimentés et talentueux, savent décrypter la multitude d'indications inconscientes ("tells") émises par chacun.

 

Les parties en dur se tiennent d'abord entre amis, dans un cadre restreint ; progressivement, la communauté s'élargit ; puis, certains joueurs vont tenter d'intégrer un cercle de jeux et, par la suite, envisager de participer à de véritables tournois à dimension locale, nationale, voire internationale.

 

Pour ces compétitions ultimes, compte tenu du montant des droits d'inscription ("buy-in") pouvant atteindre 10.000 €, le joueur n'y aura souvent accès qu'en gravissant plusieurs tournois "satellites" (dotés d'un ou plusieurs tickets d'entrée à un tournoi de catégorie supérieure) organisés par les principaux sites de poker en ligne.

La boucle est bouclée. En poker, le lien entre le virtuel et le réel est devenu irréductible.

3. Les juristes qui se sont intéressés aux phénomènes des casinos virtuels ont limités leurs travaux à la légalité de ces sites au regard de l'environnement juridique français et communautaire des jeux d'argent.

Bien que n'y étant pas installés, les cyber-casinos sont en effet présents en France ; estimés à 2.000, ils échappent à la législation française alors même que le nombre d'internautes jouant depuis la France est évalué à 500.000.

 

Or, cette irruption des jeux d'argent en ligne déstabilise le cadre légal français qui repose sur une règlementation draconienne, où seuls quelques acteurs sont autorisés par les pouvoirs publics : le PMU pour les paris sur les courses de chevaux ; la Française Des Jeux pour les loteries et certains paris sportifs ; les casinos pour les machines à sous, les jeux dits de contrepartie et les jeux dits de cercle, ce qui s'entend, aux cotés de la roulette et de la boule, des jeux de cartes, au premier rang desquels le black-jack et le baccara.

 

Jusqu'à récemment, seuls les cercles de jeux bénéficiaient de la possibilité d'organiser des parties et tournois de poker (2).

4. La dimension poker et sa singularité n'ont jamais fait l'objet d'une étude spécifique.

C'est pourquoi il est apparu intéressant de se pencher sur cette question qui anime, depuis un certains temps maintenant, de nombreux opérateurs, associations, blogs, clubs, portails et sites dédiés.

 

L'introduction de plusieurs articles stigmatisant les jeux d'argent en ligne dans la loi sur la prévention de la délinquance récemment adoptée, les auditions opérées par les renseignements généraux, confirmant ainsi les indications selon lesquelles une enquête sur l'ampleur du poker en France est actuellement en cours, le développement des tables en dur dépassant le cadre strictement privatif, le rôle moteur d'Internet, le durcissement de la législation américaine, le caractère dispersé de la législation française en la matière et l'influence du droit communautaire, sont autant de raisons justifiant cette démarche.

 

Premier constat, le corps de règles applicables est ancien, dense et complexe ; il est surtout commun à l'ensemble des jeux d'argent et de hasard, sans que le poker ne soit traité différemment des autres jeux en général et des jeux de casino en particulier.

 

Second constat, le fait de jouer au poker ou d'opérer dans ce milieu est, en fait comme en droit, hasardeux, voire dangereux.

 

A dire vrai, la donne n'est pas très bonne ; Il est proposé de l'examiner en suivant le rythme d'une main de Texas Hold'em :

  • la main de départ : le poker n'est pas qu'un jeu soumis à des lois civiles dérogatoires ; c'est un jeu de hasard ;
  • le "Flop" : les lois pénales mises à l'épreuve par Internet ;
  • le "Turn" : la recherche de responsabilité des intermédiaires ;
  • la "River" : le recours au droit communautaire.

 

Sept cartes seront donc successivement examinées.

A jour au 15 avril 2007

Eric Haber, Avocat associé

Notes

(1) Le Texas Hold'em se joue avec un jeu standard de 52 cartes. Chaque joueur combine une main de 2 cartes (qu'il est le seul à voir) avec un board (tableau) de 5 cartes communes aux joueurs, étalées par étapes sur le tapis (le flop : 3 cartes ; le turn : 1 carte ; la river : 1 carte), sachant que des relances et sur-relances peuvent intervenir à l'initiative de chacun des joueurs après la distribution de la main de départ et après chaque abattage de cartes.

Les joueurs disposent de jetons qui représentent des valeurs définies (en cash game, il s'agit d'argent ; en tournoi, de la masse remise en contrepartie du paiement du droit d'entrée) et dont l'ensemble constitue le "tapis" de chacun.

Afin de participer à un coup, le joueur doit engager tout ou partie de ses jetons, le but étant de remporter le pot (somme des jetons engagés sur le coup par les joueurs) en ayant la meilleure combinaison de poker possible avec les 7 cartes disponibles (en utilisant les 2 cartes de sa main, une seule ou même aucune), à moins que le joueur n'ait pas même à montrer son jeu, ayant fait fuir, par l'effet de ses relances et sur-relances, ses adversaires avant même l'abattage de la totalité des cartes communes.

En Texas Hold'em No Limit, les relances ne sont pas limitées, ce qui signifie que chaque joueur peut se mettre à tapis sur chaque relance de chaque coup.

 

(2) Le décret du 13 décembre 2006 modifiant le décret du 22 décembre 1959 relatif aux casinos autorise désormais les casinos à organiser, en tant que jeux dits de "cercle", le "Texas Holdem Poker". Un arrêté d'application est en cours d'élaboration.

Dans l'attente de sa publication, certains casinos ont toutefois été autorisés à tester l'ouverture des tables de cash-game, expérience qui s'est révélée concluante (les casinotiers accèdent ainsi à une nouvelle clientèle entraînant l'augmentation de la fréquentation des salles de jeux traditionnelles).

Après concertation avec les pouvoirs publics, il a été décidé que l'arrêté autorisera également les casinos à organiser des tournois de poker (la question qui se pose étant de déterminer leur localisation géographique dans la mesure où les casinos français ne disposent pas tous des infrastructures nécessaires à l'organisation de compétitions où peuvent s'affronter des centaines de joueurs).

Sommaire des articles : Le poker et le droit en France

Préambule

Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.

Le Poker est un jeu (première carte)

Le poker n'est pas qu'un jeu soumis à des lois dérogatoires : c'est un jeu de hasard.

Dans la même rubrique
Dernières news Législation du poker
vendredi 12 avril 2024 à 9:23
Approbation de la stratégie promotionnelle de Winamax : une victoire à la Pyrrhus

Retoqué en janvier, le volet "Bonus et gratifications financières" de la stratégie promotionnelle de Winamax pour 2024 vient d'être approuvé dans sa nouvelle version par l'Autorité Nationale des Jeux. Le régulateur obtient néanmoins de l'opérateur une "réduction significative du budget alloué aux gratifications financières". Un coup de rabot qui concerne aussi bien le poker que les paris sportifs.

mercredi 27 mars 2024 à 9:11
Télex

À la suite de signalements adressés au médiateur des jeux et à l'ANJ, cette dernière a invité avec succès les opérateurs de jeux en ligne du marché français à supprimer "plusieurs clauses problématiques" présentes dans leurs conditions générales d'utilisation. Étaient notamment visées les clauses permettant de limiter les mises des joueurs sans justifier d'un motif légitime, mais aussi plus globalement toutes celles qui visaient à entraver l'exercice d'actions en justice de la part des consommateurs.

Inscription Club Poker
Tournois gratuits et prix ajoutés

Le Club Poker organise des freerolls avec bonus et des tournois spéciaux avec ajouts de prix.
Pour en bénéficier gratuitement, inscrivez-vous sur nos sites de poker partenaires :