Vanessa Hellebuyck, Manuel Bevand, Valentin Messina : tous ont eu la satisfaction, ces derniers jours, d'obtenir gain de cause devant les juridictions administratives d'appel sur la question très précise des pénalités pour activité occulte infligées par l'administration fiscale. Une bonne nouvelle donc, mais qui par la force des choses ne concerne que les cas antérieurs à 2012.

Ces dernières années, les joueurs professionnels français ont guetté les bonnes nouvelles en matière de fiscalité. En vain. Les jugements des tribunaux administratifs se sont multipliés et tous ont tranché en défaveur du joueur. Oui, le poker comporte une part de hasard, mais susceptible d'être atténuée par l'expérience, la stratégie ou l'analyse de la psychologie adverse. Oui encore, la pratique habituelle du poker dans l'intention d'en tirer des bénéfices impose de regarder ces derniers comme résultant d'une occupation lucrative au sens de l'article 92 du code général des impôts. Oui enfin, l'administration fiscale était dans son bon droit en décidant de taxer ces revenus, de les majorer de 25 % faute pour l'intéressé d'avoir adhéré à un centre de gestion agréé, ou encore d'appliquer une pénalité de 80 % pour activité occulte telle que prévue à l'article 1728 du code général des impôts.
Voilà, dans les grandes lignes, le discours qu'a tenu le juge administratif en réponse aux doléances des joueurs professionnels redressés. Et cette analyse, pour l'essentiel, est aujourd'hui toujours d'actualité. Seul le tout dernier point, celui de la pénalité de 80 % pour activité occulte, vient en réalité d'être gommé par les juridictions d'appel s'agissant des dossiers portés (entre autres) par Vanessa Hellebuyck, Manuel Bevand et Valentin Messina. Tous sont ainsi parvenus à démontrer leur bonne foi et à faire valoir qu'avant 2012, la doctrine fiscale à l'égard des revenus du poker n'était pas aussi claire qu'elle l'est aujourd'hui.
Dès vendredi, manub a mis en ligne sur le forum un extrait de la décision le concernant. Rien de mieux toutefois que le texte intégral d'un jugement pour en mesurer les tenants et aboutissants. Ça tombe bien, la décision de la Cour Administrative de Versailles relative à Valentin Messina est justement consultable en ligne depuis peu.
Chacun garde en mémoire le premier coup d'éclat de la carrière de joueur de "valvegas" : la victoire, fin janvier 2010, de la finale du France Poker Tour pour un gain d'environ 130 000 euros. L'année 2010, précisément, est au cœur du désaccord qui l'oppose à l'administration fiscale devant la justice administrative.
Imposition, intérêts, majorations et pénalités : dans un jugement du 20 octobre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil confirme intégralement le montant de l'ardoise. Valentin n'en reste pas là et enregistre une semaine plus tard une requête devant la Cour administrative d'appel de Versailles. Conseillé par le même avocat que manub, Cédric Seguin, il conteste s'être livré à l'époque à une pratique professionnelle du poker, soulève les arguments récurrents de la double imposition et du statut de jeu de hasard, et surtout fait valoir deux points qui seront à l'origine des argumentaires les plus intéressants de la décision rendue le 4 mai 2017 :
- "l'administration ne pouvait retenir parmi les recettes qu'il a encaissé le résultat de 130 678,40 euros du tournoi France Poker Tour du 9 janvier 2010 dès lors qu'à cette date, il était salarié à temps plein et ne pouvait, en tout état de cause, être considéré comme un joueur professionnel" ;
- "l'administration ne pouvait légalement lui appliquer la majoration de 80 % pour activité occulte et la majoration de 25 % pour non-adhésion à un centre ou à une association de gestion agréée par application du 7° de l'article 158 du code général des impôts ; son défaut de déclaration résulte d'une erreur de sa part rendue possible par le fait que ni la doctrine administrative applicable lors des faits de l'espèce, ni la pratique administrative ne laissaient envisager une taxation des gains de jeux des joueurs de poker professionnels ; l'administration n'établit pas une quelconque intention dissimulatrice de sa part".
S'agissant d'abord de sa situation de salarié à temps plein et de son incompatibilité avec le statut de joueur professionnel, la cour administrative d'appel va lui apporter une réponse très détaillée qui illustre la diversité des éléments de preuve que sont susceptibles de collecter les services fiscaux, et que sont in fine disposées à retenir les juridictions. Prenez une grande inspiration, la voici in extenso :
Extrait de la décision de la Cour administrative d'appel de Versailles
Il résulte de l'instruction que M. A...a abandonné au début de l'année 2010 l'emploi d'ingénieur avant-vente qu'il occupait au sein de la société Hub Télécom pour consacrer l'essentiel de son activité à la pratique du poker ; qu'il a, à ce titre, participé à 24 compétitions de poker en France et à l'étranger, tout en fréquentant clubs et cercles dédiés à la pratique de ce jeu ; que s'il soutient qu'il n'a réellement quitté son emploi que le 3 mars 2010 à la date prévue par l'accord de rupture conventionnelle de son contrat de travail, et que la pratique du poker ne représentait ainsi pour lui qu'une activité accessoire jusqu'à cette dernière date, il n'est, en tout état de cause, pas contesté que son entretien préalable de licenciement est intervenu le 7 janvier 2010 et qu'il a signé le 20 janvier suivant le formulaire de demande d'homologation de cette rupture conventionnelle, ce qui indique que l'intéressé avait décidé, dès le début de l'année 2010, de quitter son emploi et que, par suite, le championnat de France de poker organisé à l'Aviation Club de France auquel il a participé le 28 janvier 2010, participait de sa nouvelle activité de joueur professionnel de poker ; que son " blog " confirme, par ailleurs, que cette activité, épisodique au cours des années 2008 et 2009 durant lesquelles il occupait encore un emploi, est devenu régulière au cours de l'année 2010 ; qu'en outre, M. A...ne conteste pas figurer parmi les meilleurs joueurs français de l'année 2010 ; que son " blog " confirme, là encore, que sa victoire au France Poker Tour à l'Aviation Club de France, a fait de lui le champion de France dans cette discipline ; qu'enfin, les revenus d'activité déclarés par M. A...au titre de l'année 2010 qui se composent de salaires et d'indemnités de chômage d'un montant respectif de 8 595 euros et de 15 213 euros, sont très inférieurs aux gains qu'il a réalisés en jouant au poker durant la même période qui s'élèvent 169 398,55 euros ; qu'ainsi et compte tenu de l'absence d'exercice d'une autre activité professionnelle susceptible de lui procurer des revenus à compter du début du mois de janvier 2010, du caractère régulier et conséquent des gains de jeux réalisés par l'intéressé et de sa notoriété, M. A...doit être regardé comme ayant exercé, à compter du 28 janvier 2010 et jusqu'à la fin de cette année, une activité lucrative de joueur de poker lui procurant des profits réguliers imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application de l'article 92 précité du code général des impôts.
L'argument de l'évolution de la doctrine fiscale, en revanche, fait partiellement mouche auprès du juge. Avec à la clé un certain paradoxe :
- sur la décision de taxer les gains du poker, "l'intéressé ne peut pas utilement se prévaloir de ce que la doctrine administrative a évolué postérieurement aux années d'imposition" ;
- mais sur le sujet de la majoration pour activité occulte, le juge concède que "ce n'est que postérieurement à l'année en litige que la jurisprudence et l'administration fiscale ont expressément estimé que les gains réalisés au poker étaient dans certaines conditions imposables à l'impôt sur le revenu", mais aussi "qu'aucune règle précise ne permettait au cours des années d'imposition de distinguer la pratique du poker selon qu'elle était exercée à des fins ludiques ou lucratives". À partir de là, la cour interprète l'absence de déclaration de ces revenus comme "une simple erreur" et non une manœuvre frauduleuse, ce qui se traduit au final par cette fameuse décharge des pénalités pour activité occulte.
Cette analyse, qui rejoint mot pour mot celle que le juge a retenu dans le cas de manub, constitue à n'en pas douter une petite victoire. Ouvre-t-elle pour autant la porte à un débat favorable devant le Conseil d'État, non plus seulement sur la question des pénalités mais bien sur celle, plus large, de l'imposition des joueurs pros du début de la décennie ? C'est en tout cas la conviction de manub et Valvegas, bien décidés à prolonger leur combat afin de connaître la position de la plus haute juridiction de l'ordre administratif. Rendez-vous dans deux ans ?
Le témoignage de Rémy Biechel sur le forum
Pour ma part je n'ai toujours rien reçu, ce qui est normal vu que j'ai environ deux ans de retard sur tous les autres dossiers. Après six ans de procédure, je ne suis toujours pas passé devant le tribunal administratif.
Tous ces retours positifs me mettent du baume au cœur. Je ne lâcherai rien et j'irai jusqu'au bout car ils m'ont brisé mentalement. Ils m'ont fait perdre six ans de ma vie alors que dans mes échanges avec eux, il apparaissait clairement qu'ils étaient dans le flou le plus total.
Des diverses discussions qu'il y a eu sur le sujet, il en ressortirait qu'il n'y a pas encore eu de cas dans ceux qui ont été rattrapés par le fisc dans lequel l'Urssaf ou le RSI serait passé derrière réclamer son dû.
Mais c'est en effet quelque-chose qui est tout à fait envisageable un jour ou pour des prochains.
Et ils ne sont peut-être pas hors délais pour le faire pour certains cas passés et ça arrivera dans un 2ème temps.
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