(mai 2007)
1.
Individualiste, spéculateur, capable de se ruiner (ou de ruiner) sur un coup de cartes ou sur un coup de bluff, le joueur de poker est considéré comme un manipulateur, un parasite qui aime l'argent facile ; un argent facile qui peut d'ailleurs être "sale", à l'image des tripots, des caves ou des arrières salles de cafés où les joueurs s'adonnent à leur passion, alors qualifiée de vice.
Bien que les origines du poker résident en Europe et en Perse, c'est aux Etats-Unis qu'il s'est développé. La conquête de l'ouest en fut le terrain de prédilection ; depuis, il fait partie de la mythologie américaine.
Comparé aux jeux de cartes de tradition française (belotte, tarot, bridge), réputés faire appel à des qualités intellectuelles qu'il ne comporterait pas, le poker est, dans l'imagerie populaire, considéré comme un jeu de hasard frappé d'une réputation sulfureuse où appât du gain et chance dominent.
Les joueurs actuels le savent, cette image est tout à la fois obsolète et absurde.
2.
Le poker est désormais sorti des arrières salles pour s'engouffrer dans le quotidien de millions de joueurs, dispersés aux quatre coins du globe.
Internet en a été le détonateur ; il en reste le principal vecteur, bien qu'à présent relayé par les médias traditionnels qui n'ont de cesse de s'intéresser à cette déferlante.
Le tricheur et l'escroc sont désormais remplacés par un joueur professionnel (souvent épaulé par un coach) dont la notoriété est plus proche de celle d'un athlète de haut niveau, d'une star de la chanson ou du cinéma.
Le poker n'est pas un simple jeu de cartes, il est subtil et complexe. Le Texas Hold'em No Limit est, selon l'expression désormais consacrée, la "cadillac" du poker.
Pour ses adeptes, le poker est un véritable sport de compétition où la stratégie, la technique, la maîtrise de soi, la solidité mentale, l'endurance, la combativité, la connaissance des probabilités et le calcul des cotes, ainsi que la lecture du jeu et de "l'âme" de ses adversaires ont plus d'importance que le tirage des cartes qui, seul, relève du hasard.
Sur les tapis verts des casinos et sur les tables virtuelles, des centaines de milliers de dollars s'échangent chaque jour entre des joueurs de générations et de couches sociales différentes qui s'affrontent et qui peuvent, à cette occasion, côtoyer des joueurs professionnels ou des amateurs qui ambitionnent de sortir de l'ombre.
Les tournois internationaux qui s'étalent sur plusieurs jours font partie des événements sportifs les plus médiatisés et les mieux primés ; les prix donnent ainsi le vertige, pouvant atteindre pour le vainqueur plus de 10 millions de dollars.
En dépit de cette évolution, il est néanmoins peu probable, du moins à court terme, que le poker sorte de la catégorie des jeux de hasard, quelle que soit d'ailleurs la variante retenue.
Mais si l'on raisonne objectivement, chaque joueur admettra que lorsque deux d'entre eux font "all-in" (mettre son tapis) "pré-flop" (avant même l'abattage des trois premières cartes), tout n'est plus qu'une question de tirage, de chance, donc de hasard. Il serait vain de vouloir faire admettre le contraire à des personnes qui ne soient pas des experts ou des passionnés de poker.
3.
Pour le droit français, il n'y a aucun doute, le poker n'est pas simplement un jeu, il est un jeu de hasard, au même titre que la roulette, le baccara, le craps, les jeux de dés, les machines à sous (!).
C'est ici que le droit pénal entre en scène ; de longue date, il a institué une législation restrictive et répressive dont l'objet est de contrôler et de limiter le développement des jeux de hasard (1).
Après avoir décidé que n'étaient des jeux de hasard que ceux où le hasard seul préside, la Cour de Cassation a qualifié, dans une décision datant de 1877, comme étant des jeux de hasard :
"ceux où la chance prédomine sur l'habilité, la ruse, l'audace et les combinaisons de l'intelligence".
En élargissant la notion de jeux de hasard, cette jurisprudence invite à déterminer les jeux où le hasard prédomine sur l'habileté ; analyse qui comporte nécessairement une part d?arbitraire.
En jurisprudence, certains jeux sont ainsi parvenus à échapper à la qualification de jeux de hasard ; tel est notamment le cas de la belotte ou du bridge.
La motivation mérite d'être méditée par chaque joueur de poker : selon les juges, la belotte ou le bridge ne sont pas des jeux de hasard car la chance entre seulement en ligne de compte au début de la partie lorsque se fait entre les joueurs la distribution des cartes ; par la suite, le sort de la partie dépend du savoir, de l'adresse, de l'attention et de la perspicacité des joueurs.
Le poker n'a jamais bénéficié d'une telle appréciation judiciaire, étant précisé que la décision la plus significative rendue en la matière par la Cour de Cassation date de 1930 ; il ne s'agissait pas, chacun s'en doute, du poker dans sa variante de Texas Hold'em No Limit.
On y apprend toutefois que le point de savoir si le poker constitue ou non un jeu de hasard est une circonstance qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond et qui, à ce titre, n'est donc pas soumis au contrôle de la Cour de Cassation.
On pourrait donc se trouver dans une situation ou la lecture judiciaire sur cette question divergerait d'une cour d'appel à une autre.
En l'espèce, la cour d'appel de Montpellier avait considéré que "les pertes et les gains parfois considérables que les joueurs peuvent faire au jeu de poker dépendent beaucoup plus du hasard et de la chance que de leur habilité, de leur mise, de leur audace et des combinaisons diverses dont ce jeu est susceptible".
4.
Cette question essentielle mériterait d'être à nouveau posée.
Le savoir, l'adresse, l'attention, la perspicacité des joueurs (pour reprendre les termes retenus en jurisprudence), mais encore la technique, la stratégie, l'endurance, l'audace, la lecture psychologique, la connaissance des probabilités, en un mot "les combinaisons de l'intelligence" n'ont t-elles pas, en Texas Hold'em, plus d'importance que le hasard ?
Le fait que les principales places payées des compétitions internationales soient trustées par les joueurs professionnels est-il dû à leur compétence, leur talent, leur pratique régulière, leur ténacité, leur jugement ou est-ce prioritairement lié au hasard, dont la récurrence aurait alors de quoi surprendre ?
N'est-il pas possible par la compétence, l'habileté, la prise de risque, sinon de "maîtriser" le hasard, d'en "défier" les lois ou bien encore de s'en affranchir en conduisant ses adversaires à se coucher avant même que le sort ne se manifeste ?
En un mot, le hasard prédomine t-il véritablement sur les combinaisons de l'intelligence en matière de Texas Hold'em ?
Ce serait là le premier angle d'attaque ; il est décisif car tant que le poker sera qualifié de jeux de hasard, la législation pénale s'appliquera.
Or, tout comme la main de départ (le droit civil), le flop (le droit pénal) est particulièrement défavorable.
Eric Haber - Avocat associé
(1) Les jeux, qu'ils soient ou non de hasard, demeurent des jeux au sens du droit civil, entraînant l'application des article 1965 et 1697 du Code civil.
Préambule
Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.
Le Poker est un jeu (première carte)
Le poker n'est pas qu'un jeu soumis à des lois dérogatoires : c'est un jeu de hasard.
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