Dixième Carte (2)

(octobre 2008)

1.

Si le colloque "Pour une adaptation du modèle français des jeux de hasard et d'argent" a eu pour principal mérite de se tenir, il importe, à présent, qu'il soit concrètement suivi d'effets et que des réponses aux légitimes interrogations des acteurs et opérateurs du marché du jeu soient rapidement apportées.

 

Ce serait là le seul moyen de s'assurer qu'il ne soit pas qu'une simple "carte brûlée".

 

C'est avec cette formule que se concluait notre étude qui faisait suite au colloque du 17 octobre 2007.

2.

Un an plus tard, force est de constater que tel est pourtant bien le cas ; l'impression générale ressortant du second colloque organisé par le Sénateur François Trucy, cette fois-ci intitulé "les conditions d'ouverture du marché des jeux de hasard et d'argent en France" étant celle d'une déception relative des principaux opérateurs désireux de voire clairement évoluer la configuration actuelle.

 

Comme nous le pressentions dès l'année dernière, ce n'est donc pas seulement l'ouverture qui se révèle maîtrisée mais également (et surtout) son délai de mise en oeuvre.

 

Mais alors qu'ouverture, assouplissement et concurrence furent les maîtres mots du colloque du 17 octobre 2007, les notions de régulation, de contrôle et de sanction sont revenues, le 23 octobre 2008, sur le devant de la scène. Il est vrai que la conjoncture financière actuelle offre peu d'emprise pour critiquer l'intervention de l'Etat et la mise en place de mécanismes de régulation dans le secteur de la "spéculation".

 

Aussi, en dépit des effets d'annonces et des déclarations d'intention, le modèle historique français, caractérisé par la mise en place de monopoles pour les loteries et les paris sportifs ou hippiques (française des jeux ; pari mutuel urbain) ou de concessions strictement encadrées (casinos ; cercles) n'est finalement pas encore arrivé en fin de parcours, quand bien même celle-ci s'avère, en fait comme en droit, inéluctable.

 

Ce colloque offre toutefois l'occasion de faire le point sur l'état de la réflexion gouvernementale.

3.

Le cadre est connu : (i) l'éclatement des frontières du marché du jeu sous l'effet du vecteur Internet, (ii) l'architecture française du droit des jeux et sa législation dont les principes fondateurs datent, pour l'essentiel, de la fin du 19e siècle et (iii) le traité de la Communauté Européenne dont les articles 43 et 49 prohibent (a) les restrictions à la liberté d'établissement d'un ressortissant d'un Etat membre dans un autre Etat membre et (b) les entraves à la libre prestation de services entre Etats membres.

 

Les principaux protagonistes également : (i) l'Etat français dont la gestion du dossier est dévolue, signe des impacts fiscaux afférents aux marchés des jeux, au Ministre du budget, (ii) la Commission Européenne pour qui les restrictions nationales aux jeux, paris et loteries, constituent des barrières à la libre prestation de services, (iii) les opérateurs et industriels du jeu qui, d'ores et déjà actifs sur le marché français, espèrent désormais donner une assise légale à leurs démarches opérationnelles et commerciales, (iv) les casinotiers, objet de mesures discriminantes et qui, de longue date, attirent l'attention des pouvoirs publics sur les bouleversements engendrés par Internet dans ce secteur, (v) la FDJ et le PMU qui, à contre-courant, sont surtout soucieux de la préservation de leur monopole.

 

Et comme si cette conjonction d'intérêts contradictoires n'y suffisait pas, s'ajoutent à présent les fédérations sportives qui, sur un fondement juridique incertain (3) (et sous le couvert de garantir la transparence et la loyauté des compétitions sportives), entendent peser de tout leur poids pour qu'un pourcentage de la "manne" financière que représentent les paris sportifs leur soit attribué.

 

C'est donc sur ce terrain, entre ces différents compétiteurs, que la bataille juridique portant sur l'ouverture du marché des jeux et paris sportifs en ligne continue de faire rage.

 

Bien qu'une documentation abondante existe désormais, un bref rappel des termes du débat n'est pas inutile.

(1) Missdeal, littéralement "donne manquée" ou "mauvaise donne", désigne une erreur de distribution des cartes, par négligence ou maladresse du croupier. La conséquence étant qu'il faut refaire la donne, ce qui est source de perte de temps et, parfois, d'insatisfaction des joueurs dont certains vont devoir renoncer à une main qui pouvait leur être favorable (d'autres étant, à l'inverse, satisfaits de ne pas devoir jouer une main médiocre).

 

(2) L'intégralité des travaux de l'auteur ("Internet, le Poker et le Droit"), est consultable sur le site Internet clubpoker.net (https://www.clubpoker.net/poker/internet-droit,21/poker-internet-droit,32/).

 

(3) L'article L. 333-1 du Code du sport confère aux organisateurs sportifs un monopole d'exploitation ("les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent". Ce monopole n'étant pas défini, les fédérations sportives considèrent qu'il est absolu et en conséquence que l'organisation de paris en ligne portant sur des rencontres sportives constitue un mode d'exploitation de la manifestation, soumis à ce titre au monopole légal.

Cette lecture semble toutefois élargir trop largement le monopole d'exploitation, en ce qu'il porterait non pas tant sur la "manifestation" proprement dite mais sur toutes les richesses qui en résulteraient alors même qu'elles ne concerneraient que la seule "action sportive".

S'il n'est pas contestable qu'une fédération tire profit des investissements réalisés et des efforts consacrés à l'organisation, le monopole semble devoir être limité aux revenus liés aux retransmissions de la manifestation sportive (l'objectif de l'article L. 333-1 du Code du sport était d'ailleurs bien de trancher le conflit attaché aux droits d'exploitation audiovisuels des compétitions sportives).

Objectivement, l'action sportive, quand bien même elle découle d'une manifestation sportive est, un simple fait pouvant être connu de tous et qui peut donc librement être diffusé. Il en est de même du pari collecté qui ne porte pas tant sur la manifestation sportive mais sur son résultat, là encore un simple fait.

Ainsi, on peut considérer que les sites de paris sportifs, en collectant les paris relatifs à l'issue d'un événement sportif, n'exploitent finalement pas la manifestation sportive, qu'ils ne retransmettent pas (en principe) mais simplement (i) font connaître au public l'existence d'un fait (la compétition à venir) et (ii) offrent au public la possibilité de parier sur un autre fait (le résultat de la compétition)

Comme l'indique un auteur "l'activité génératrice de rémunérations issues de la collecte des paris n'est pas liée à l'organisation et au déroulement de la compétition. Elle est liée simplement à son existence et à son résultat, deux éléments qui constituent des informations hors monopole"; pour conclure qu'il s'agit là d'informations sur lesquelles le titulaire du monopole ne saurait avoir de droit particulier.

A ce titre, la décision rendue le 30 mai 2008 par le tribunal de grande instance de Paris dans le litige opposant Unibet à la Fédération Française de Tennis (et le tribunal considère que le fait d'organiser des paris sportifs portant sur le résultat des matchs de tennis se déroulant lors du tournoi de Roland Garros, constitue un acte d'exploitation commerciale de la compétition portant atteinte au monopole légal attribué à son organisateur) est, à notre sens, sérieusement critiquable. C'est du reste sans doute la raison pour laquelle les fédérations militent pour une nouvelle rédaction, plus explicite, de l'article L.333-1 du Code du sport.

A ce titre, le gouvernement a fait savoir qu'il était à l'écoute des préoccupations des ligues professionnelles, des fédérations, des clubs, des organisateurs d'événements sportifs au sens large du terme et qu'il entendait assurer un retour financier légitime vers le sport. Affaire à suivre...

4.

Réduit à sa plus simple expression, le bras de fer noué entre la Commission Européenne et le gouvernement français porte sur la compatibilité de la réglementation française relative aux jeux de hasard et d'argent (et des monopoles nationaux institués à cet effet) avec les libertés d'établissement et de prestations de services prévues par le droit communautaire.

 

Pour la Commission, il n'existe pas de raisons impérieuses d'intérêt général justifiant que l'accès au marché français soit fermé aux opérateurs titulaires d'autorisation leur ayant été valablement consentie par les Etats Membres ; ces entreprises sont soumises à des procédures de contrôles, répondent à des règles strictes de transparence et de gouvernance et sont d'ailleurs, pour les principales, cotées en bourse.

 

Il n'y aurait dès lors pas de sens à ce que ces opérateurs, en proposant aux internautes français des prestations de jeux, s'exposent à des sanctions financières et pénales (nb : les dirigeants sont passibles du délit de tenue d'une maison de jeux de hasard, sanctionné de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende) ; dans le même esprit, il n'y a pas non plus de sens à sanctionner la promotion qui serait faite de ces opérateurs.

 

Pour la plupart des Etats, le jeu n'est cependant pas une activité économique ordinaire. Ce domaine touche à l'ordre public, censé refléter les conceptions morales, culturelles et sociales de la société ; il doit donc faire l'objet d'une stricte régulation et d'un ferme contrôle étatique (4).

 

Dès lors, les Etats Membres, qui interdisent ou règlementent l'exploitation de paris, loteries ou casinos, ne devraient donc pas subir l'offre faite à des résidants de leur territoire portant sur des jeux ou paris en ligne provenant d'un prestataire établi dans un autre Etat Membre, quand bien même celui-ci a autorisé de telles activités sur son territoire.

 

La Commission ne nie toutefois pas la sensibilité du sujet ; elle prend d'ailleurs systématiquement le soin de respecter la marge d'appréciation des Etats Membres et précise qu'elle ne veut ni porter atteinte aux monopoles, ni viser une libéralisation sauvage du marché.

 

Pour autant, sa démarche est dictée par la volonté de garantir une juste concurrence communautaire et de s'assurer que les mesures restrictives adoptées par chaque Etat sont nécessaires, adéquates et non discriminatoires ; concrètement, la Commission entend vérifier que l'objectif recherché par l'Etat n'est pas d'empêcher l'arrivée de nouveaux opérateurs concurrents sur son territoire.

(4) La réglementation des jeux constitue une mesure de police relevant de la réglementation des Etats membres et non pas de la législation communautaire ; à cet égard, il y a effectivement lieu de noter que les activités de jeux d'argent ont été formellement exclues de la directive sur le commerce électronique et de la directive relative aux services dans le marché intérieur, confirmant par là même l'idée qu'une réglementation commune et libérale en la matière n'est pas souhaitée par les Etats membres.

5.

Dans cette bataille juridique, les tenants de la libéralisation ont, courant 2007, connu deux succès judiciaires ayant pour conséquence de fragiliser sérieusement le modèle historique.

 

Par l'arrêt Placanica du 6 mars 2007, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) poursuivant le mouvement initié dans ses précédentes décisions, a porté un coup dur au monopole d'état sur les loteries et paris sportifs (5).

 

Moins prévisible mais tout autant (sinon plus) révélateur d'un changement de cap dans le litige opposant le PMU à la société de droit maltais Zertuf Ldt (laquelle organise la prise de paris en ligne sur les courses françaises de chevaux), la Cour de Cassation, par l'arrêt Zeturf du 10 juillet 2007, a infligé un sérieux revers au PMU et aux défenseurs du monopole à la française en adoptant une lecture très proche de celle de la CJCE (6).

 

Dans le même temps, la Commission a enclenché une procédure d'infraction à l'encontre de la France, destinataire le 27 juin 2007 d'un avis motivé.

 

La France devait alors proposer une modification de sa législation ; à défaut de quoi, elle courait le risque d'être traduite devant la CJCE aux fins de débattre, judiciairement, du bien fondé de son modèle historique.

 

(5) Voir notre septième carte "Le recours au droit communautaire".

 

(6) Dans cette décision, la Cour de Cassation confirme qu'une restriction à la libre prestation de services (découlant d'une autorisation limitée des jeux d'argent dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés à certains organismes) ne peut être justifiée que si elle est nécessaire pour atteindre (i) l'objectif consistant à prévenir l'exploitation des jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses en les canalisant dans des circuits contrôlables ou (ii) l'objectif tendant à la réduction des occasions de jeux.

Pour la Cour, une telle restriction n'est susceptible d'être justifiée, au regard de l'objectif de réduction des occasions de jeux, que si la réglementation la prévoyant répond véritablement (au vu de ses modalités concrètes d'application) à ce souci de réduction d'une manière cohérente et systématique. Or, ceci est exclu lorsque les autorités nationales adoptent une politique extensive dans le secteur des jeux afin d'augmenter les recettes du Trésor Public.

Il appartient désormais à la cour d'appel de renvoi de déterminer si les restrictions peuvent être justifiées par l'objectif de limitation des risques de délits et de fraudes, mais également de dire si ces restrictions sont proportionnées, ce qui suppose de vérifier que la protection de l'intérêt général n'est pas déjà assurée par l'Etat où le prestataire était établi, en tenant compte des procédures de contrôles et de vérifications préalables à l'attribution de licence.

Il s'agit ici de faire prendre tout son sens au principe d'équivalence et de "reconnaissance mutuelle", auquel les autorités françaises sont fermement opposées.

La position qu'adoptera la cour d'appel de renvoi sera donc importante puisque consistant à déterminer si des procédures d'homologation et de contrôle de l'Etat de Malte sont de nature à préserver l'objectif de prévention de l'exploitation des activités de jeux à des fins criminelles et frauduleuses, étant cependant précisé que l'Etat membre de destination (France) pourra toujours procéder à des vérifications supplémentaires à la condition toutefois qu'elles ne soient pas inutilement contraignantes. Affaire à suivre également...

6.

A l'issue de plusieurs réunions de travail avec le commissaire européen en charge du marché intérieur, la France, par "pragmatisme" et "réalisme", a finalement admis qu'elle ne pouvait plus faire l'économie d'une réforme profonde de sa législation en matière de jeux de hasard et de paris sportifs pour satisfaire aux exigences du droit communautaire.

 

Au delà même de toute considération communautaire, il s'agit également pour l'Etat de tenter de reprendre le contrôle d'un secteur en développement rapide en dehors de toute régulation.

 

Dans le prolongement du colloque du 27 octobre 2007, une mission sur l'ouverture du marché des jeux d'argent et de hasard a été mise en place par le Premier Ministre et confiée à Monsieur Bruno Durieux.

 

Le rapport remis en mars 2008 milite pour une ouverture maîtrisée, soucieuse des objectifs d'intérêts général propres à la France (ordre social ; ordre public ; considérations fiscales), conduite avec prudence et de manière progressive.

 

Les principales pistes de réflexions envisagées dans le rapport Durieux sont reprises par le gouvernement comme cadre de l'ouverture, qualifiée de "maîtrisée", du marché des jeux d'argent et de hasard.

 

Lors d'une conférence de presse du 6 juin 2008, le Ministre du Budget a tracé les grandes lignes de cette ouverture.

 

Lors du Colloque du 23 octobre, le représentant du Ministre, et c'est peut-être là une première source de déception, n'a apporté aucun éclairage complémentaire significatif à ce qui avait d'ores et déjà été dévoilé.

7.

L'ouverture maîtrisée offre, par principe, la faculté à des opérateurs du secteur, qu'ils soient ou non titulaires d'une autorisation leur ayant été délivrée par un autre Etat membre, de postuler à l'attribution d'une licence emportant autorisation de proposer légalement, sur le territoire français, aux consommateurs de jeux, une prestation de jeux de hasard et d'argent.

 

Le schéma d'ouverture retenu par le gouvernement pose plusieurs lignes directrices.

Une ouverture limitée

8.

Il est acquis que l'ouverture sera, dans son champ d'application, limitée et que l'offre légale, bien que devant être attractive, sera nettement plus restreinte que l'offre illégale, actuelle et future.

 

Si l'on raisonne en terme de "produits" de jeux, les contours de l'ouverture seront les suivants :

  • les paris hippiques mais seulement sur un mode de paris mutuels (7), étant confirmé que le nouveau modèle devra continuer d'assurer le financement budgétaire de l'Etat et de la filière hippique ;
  • les paris sportifs sont également concernés, sachant que le gouvernement, par réalisme, autorisera, aux cotés du pari mutuel, le mode de paris à la côte, lequel domine le marché ; en revanche les paris sportifs devront exclusivement porter sur l'épreuve sportive elle-même, c'est-à-dire sur le résultat final de la compétition (et non pas sur des éléments connexes ou liés) ; le betting exchange, le spread betting et le live betting, seront prohibés ;
  • les jeux de casinos improprement qualifiés de "cercle", c'est-à-dire (i) les jeux de cartes, dont principalement le black jack, le poker, et (ii) la roulette, seront concernés ; en revanche, les jeux de machines à sous, considérés comme étant les plus addictifs, seront formellement prohibés.

Les loteries sont exclues de l'ouverture.

(7) Le pari mutuel consiste à faire masse des mises des différents joueurs et à redistribuer les sommes collectées aux gagnants, sous déduction de la rémunération de l'organisateur (les parieurs jouent ainsi les uns contre les autres). A l'inverse, le pari à la cote oppose les parieurs à l'organisateur qui définit avant l'épreuve une cote en fonction des chances de victoire qu'il prévoit (l'organisateur est donc directement intéressé au résultat de l'épreuve).

9.

Lors du colloque, il a été précisé que l?ouverture ne devrait concerner que les jeux en ligne sur Internet, à l'exclusion donc de la faculté, pour les nouveaux entrants, de proposer "en dur" des prestations de jeux sur le sol français ; concrètement, un opérateur de paris sportifs ne pourra donc pas ouvrir une agence de prises de paris en France et un opérateur de poker ne pourra pas non plus organiser un tournoi de poker en France (sauf à passer par le canal d'un casino ou d'un cercle de jeux).

 

Le rapport Durieux ne fermait toutefois pas explicitement la possibilité pour les opérateurs de postuler à l'attribution d'une licence en dur. Il y est ainsi notamment indiqué que "les opérateurs autres que les casinos souhaitant proposer des jeux en dur devraient obtenir une licence".

 

La téléphonie et la télévision interactive ne sont pas, en l'état, concernées par cette ouverture mais il est probable que ces nouveaux modes d'exploitation de jeux constituent, à terme, un des chantiers qui sera dévolu à l'autorité de régulation.

Une ouverture régulée

10.

Le système de régulation envisagé par l'Etat repose sur un postulat de départ : l'ouverture des jeux sur le marché français doit être strictement réservée à des opérateurs disposant d'un agrément spécifique matérialisé par la délivrance d'une licence "française".

 

Ce postulat implique que le principe communautaire de "reconnaissance mutuelle" (8) soit écarté. Il est en effet considéré que l'application de ce principe au secteur des jeux ne permettrait pas de maintenir le niveau des objectifs français de protection de l'ordre public et de l'intérêt général.

 

Clairement, les autorités françaises entendent donc limiter l'accès au marché français aux seuls opérateurs autorisés par elle et, en conséquence, soumettre les opérateurs européens qui souhaitent proposer légalement des jeux et paris aux internautes français à une licence française emportant le respect d'un cahier des charges précis et avec lui la mise en oeuvre de contrôles complémentaires.

 

Il s'agit là d'un point non négociable par la France et vraisemblablement admis en tant que tel par la Commission Européenne, étant immédiatement précisé qu'aucun élément précis n'a filtré sur cette question.

 

C'est sur cette procédure de contrôle préalable qu'un point d'équilibre aurait donc été trouvé entre le droit communautaire et le modèle historique français.

(8) Sommairement, le principe de reconnaissance mutuelle (qui résulte de l'interprétation donnée par la Commission à une décision "Cassis de Dijon" du 20 février 1979) consiste, afin de permettre à un opérateur de proposer ses produits (ses services) dans un Etat membre, à ne pas lui imposer de procédures de contrôles et de vérifications complémentaires à celles émanant de l'Etat d'origine ayant délivré (lorsqu'elle est requise) une autorisation de commercialisation.

Les Etats peuvent cependant s'opposer à cette automaticité et maintenir des mesures restrictives en invoquant des "exigences impératives d'intérêt général", sous réserve qu'elles soient, sous le contrôle de la CJCE, effectivement justifiées par l'intérêt général, non discriminatoires, nécessaires et proportionnées au regard de l'objectif poursuivi. C'est sur cette question précise que se situent les enjeux du débat communautaire.

11.

Les opérateurs déjà agréés dans les autres Etats européens pourront bien évidemment solliciter un agrément en France mais la simple justification de ce qu'ils disposent d'une licence dans un autre Etat Membre ne sera donc pas, en soi, suffisante. Par pragmatisme, les contrôles déjà effectués par les autorités de régulation des autres pays, ayant le même objet que ceux réalisés par l'autorité, devraient cependant être pris en considération.

 

Au cas où ils seraient retenus, les opérateurs devront prendre en engagement formel de respecter le cahier des charges mis en place et, à travers lui, les objectifs de préservation de l'ordre public et social au sens de droit français.

 

En cas d'inexécution des clauses du cahier des charges, l'opérateur, titulaire d'une licence française, s'exposera à des sanctions pouvant aller jusqu'à la suspension, voire le retrait de sa licence, peu important qu'il bénéficie d'une autorisation (par hypothèse, maintenue) émanant d'un autre Etat membre.

12.

Dans ce cadre, une autorité de régulation, dont l'étendue de la compétence reste encore à déterminer (9) sera créée, avec notamment pour mission, de :

  • préparer la réglementation applicable au secteur, notamment en définissant les types de jeux autorisés ;
  • définir le cahier des charges (10), support contractuel précisant les conditions à respecter pour pouvoir opérer sur le territoire français ;
  • examiner les candidatures et délivrer les agréments aux opérateurs, de manière objective, transparente et non discriminatoire ;
  • observer l'évolution du marché afin d'adapter les outils de régulation et les conditions d'exercice des activités (volet qui pourrait s'adosser sur un observatoire des jeux en vue de garantir l'indépendance et l'objectivité des études) ;
  • veiller au respect des dispositions d'ordre public et d'ordre social, en particulier dans le domaine de la lutte contre les sites illégaux, de la santé publique et de la régularité des épreuves sportives ;
  • contrôler les opérateurs agréés et s'assurer du respect du cahier des charges ; le cas échéant, prononcer des sanctions ;
  • définir un processus de détection des sites illégaux par l'établissement d'une "liste noire" qui pourrait servir de document référence dans la mise en oeuvre du dispositif de lutte contre les sites illégaux (ie. blocage des gains ; information par les hébergeurs, les fournisseurs d'accès et les moteurs de recherche ; interdiction de la publicité).

(9) le rapport Durieux propose que cette autorité, qui cumulerait alors les attributions jusqu'à présent dévolues à trois autorités de tutelles différentes, soit également chargée de fixer les orientations d'une véritable politique des jeux et d'en suivre la mise en oeuvre.

Concernant, le statut de l'autorité de régulation, le rapport Durieux préconise "compte tenu des spécificités du secteur des jeux, du risque éventuel de corruption et de la nécessité pour l'État de disposer de moyens d'actions directs sur ce secteur d'activité", d'opter pour une instance purement administrative, plutôt que pour une autorité administrative indépendante (AAI), disposant d'un budget propre, et dont le collège devrait comprendre des représentants des opérateurs de jeux.

 

(10) Le cahier des charges précisera les activités autorisées et, s'il y a lieu, les règles encadrant le fonctionnement des jeux.

Pour ce qui concerne la préservation de l'ordre public, les opérateurs devront notamment garantir (i) la transparence et la traçabilité des flux financiers, (ii) la protection des données personnelles, (iii) la loyauté et la sécurité des jeux, (iv) la certification des logiciels applicables et (v) un process de lutte contre les fraudes et le blanchiment.

La préservation de l'ordre social résultera, quant à lui, de la mise en ?uvre de principes préventifs tels que décrits dans le rapport Durieux : (i) le rejet des demandes de jeu émanant des mineurs ou des interdits de jeu ; (ii) la normalisation de la procédure d'identification et le contenu des données à renseigner par les joueurs lors de leur inscription ; (iii) la lutte contre l'addiction notamment par (a) la détermination, par le joueur, du montant maximal de ses mises au sein d'un plafond défini lui-même par l'État et (b) la possibilité, pour le joueur, de s'exclure pour une période irrévocable qu'il pourrait lui-même fixer, © la définition, par session, d'un nombre de parties maximum ou d'une durée de jeu maximum, ou bien encore (soit l'institution d'une "modération" du jeu) (d) l'interruption des séances de jeu par des fenêtres secondaires automatiques informant sur les risques d'addiction. Pour le Poker, il est également préconisé des règles complémentaires, telles que (e) l'interdiction de recourir à plusieurs comptes utilisateurs ayant une même adresse IP pour s'inscrire à une même table ou (f) la création d'une fiche d'information par joueur permettant de connaître ses performances.

Plus généralement le cahier des charges devra également comporter une clause de stabilité de l'actionnariat de l'opérateur (via une procédure d'information et/ou d'autorisation préalable en cas de changement dans la direction ou l'actionnariat), ainsi que des clauses de contrôle (reporting ; audits).

Enfin, et non sans clairvoyance, le rapport Durieux préconise que le cahier des charges comporte l'interdiction pour un opérateur de renvoyer les joueurs vers un autre de ses sites n'appliquant pas la réglementation française.

13.

Plusieurs autres aspects pratiques devront également retenir l'attention des opérateurs.

 

La question de la durée de l'autorisation n'est pas encore tranchée ; le rapport Durieux préconise une licence pour une période 5 ans, précédée d'une autorisation temporaire de 6 mois.

 

Il en est de même du nombre d'autorisations qui sera délivré ; le rapport Durieux préconise que le nombre d'opérateurs soit, dans un premier temps, assez faible pour en faciliter le contrôle par l'autorité de régulation tout en s'assurant que la concurrence joue à plein pour chaque catégorie de jeu (le chiffre d'une dizaine de licences pour chacune des catégories de jeux est alors avancé).

 

Le coût de l'autorisation n'est pas encore clairement abordé par le gouvernement, sachant que le rapport Durieux préconise que ce coût soit fixé à un niveau permettant de couvrir les frais relatifs au fonctionnement de l'autorité de régulation et au contrôle des opérateurs.

 

En revanche, pour les autorités françaises, l'installation en France de l'entité titulaire de l'autorisation apparaît comme un principe incontournable (au demeurant, il est fort justement fait remarquer que les pays européens ayant ouvert le secteur du jeu à distance ont tous, y compris Malte, prévu une condition d'installation sur leur territoire).

 

Selon le rapport Durieux, cette installation en France sera un véritable "outil de régulation" et moyen de contrôle du respect des clause du cahier des charges ; elle facilitera en outre l'exercice de contrôles administratifs ou de pouvoirs de police et permettra d'éviter, en cas de non-respect de la réglementation par un opérateur, la mise en ?uvre d'une coopération administrative et judiciaire entre Etats membres, nécessairement longue et compliquée (notamment si l'Etat d'origine n'a pas des préoccupations identiques à l'État français).

Cette installation en France implique donc pour les opérateurs la création d'un site web spécifique dédié au marché français.

 

De même, il semble acquis qu'il ne sera pas accordé de licence générale ouvrant l'accès à l'ensemble des jeux autorisés mais une ou plusieurs licences spécifiques destinées pour chaque segment de jeux.

 

Se fondant sur l'éclatement du jeux en secteurs distincts (paris sportifs ; paris hippiques ; et jeux de casino), la mission Durieux considère que chaque type de jeux (sous réserve d'une définition large permettant d'éventuelles évolutions) exige un encadrement différent ; cela sera sans doute le premier écueil pour les opérateurs présents sur tous les terrains qui devront donc s'adonner à la "multipostulation".

Une ouverture fiscalisée

14.

Le traitement des problématiques fiscales résultant de la captation des internautes français par des opérateurs n'étant pas soumis à des prélèvements d'un niveau équivalent à ceux pratiqués en France sera, comme toujours, décisif.

 

Pour l'Etat, le niveau de la fiscalité doit tenir compte de l'environnement économique et budgétaire, et surtout contribuer à réguler le niveau de la consommation de jeux et réduire l'intérêt des opérations de blanchiment. Mais pour les opérateurs, la fiscalité ne peut répondre aux canons étatiques traditionnels, en ce qui concerne notamment l'assiette et le taux d'imposition.

 

Le rapport Durieux reconnaît quant à lui que les règles actuelles, complexes et spécifiques aux relations nouées avec les opérateurs historiques, doivent être revisitées.

 

Sans anticiper sur le détail du dispositif fiscal qui sera élaboré par le gouvernement, plusieurs interrogations demeurent.

 

En premier lieu, il s'avère qu'un choix (lui-même fonction de la priorité donnée à la préservation de l'ordre public et social ou l'attractivité de l'offre légale) en terme d'assiette de la taxe, devra s'opérer entre la taxation des mises ou la taxation du produit brut des jeux.

 

La taxation des mises entraîne une régulation du taux de retour aux joueurs et conduit donc à la réduction des occasions de jeux et de l'intérêt des opérations de blanchiment ; cette taxation est donc de nature à entraîner une "fuite" vers les opérateurs non agréés.

 

A l'inverse, la taxation du produit brut des jeux est de nature à satisfaire les joueurs et à réduire le développement potentiel de sites illégaux ; ce système a donc la nette préférence des opérateurs (qui peuvent ainsi déterminer lui même le taux de retour aux joueurs), sachant qu'il s'accompagnerait d'une nette diminution des recettes fiscales alors même qu'il entraînerait une forte hausse de la consommation de jeux.

 

En second lieu, la question de l'équivalence de la taxation entre les jeux à distance et en dur se pose également.

Les opérateurs demandent une taxation allégée des jeux à distance aux motifs qu'ils sont soumis à une concurrence particulièrement rigoureuse des sites illégaux et par l'existence même d'une offre de substitution, facilement accessible, qui ne se retrouve pas en dur.

 

Le rapport Durieux préconise cependant une taxation identique considérant (i) qu'il s'agit d'opérations de même nature et que le vecteur de commercialisation ne change pas la nature du jeu, et que (ii) compte tenu du niveau de fiscalité pratiqué dans d'autres pays, il faudrait de toute manière diminuer dans de trop forte proportion la fiscalité pour avoir une offre légale attractive, pour conclure que "l'idée selon laquelle une ouverture du secteur des jeux conduirait à un maintien voire à une augmentation des prélèvements publics n'est crédible qu'à condition de maintenir un niveau de taxation élevé, proche de celui pratiqué à l'heure actuelle, tant pour les jeux à distance que pour les jeux en dur."

 

En troisième lieu, la question fiscale englobe également celle de la mise en place d'un retour financier vers le sport, sachant que l'Etat, sans autre forme de précision, évoque à minima un prélèvement spécifique en faveur du développement du sport appliqué à l'ensemble des paris sportifs. Les opérateurs y sont hostiles, sauf à ce que ce reversement soit directement effectué par l'Etat par ponction sur ses propres prélèvements.

Une ouverture dont l'efficacité reste dépendante de la mise en oeuvre de sanctions

15.

Alors qu'il est question de définir le cadre de l'ouverture, une très large place est faite, qu'il s'agisse du rapport Durieux ou des communications gouvernementales, aux sanctions nécessaires à la préservation du nouveau dispositif.

 

Et de fait, de telles sanctions sont nécessaires car l'offre légale sera nécessairement moins attractive que l'offre illégale ; il est dès lors indispensable que les candidats non agréés soient pénalisés, voire empêchés dans leur démarche consistant à proposer leurs services sur le territoire national (11).

 

A défaut, et comme le souligne à juste titre le rapport Durieux, il est probable que "les opérateurs de jeux à distance hésiteront à s'engager dans une démarche d'agrément qui leur imposera des contraintes lourdes alors qu'ils pourraient en toute impunité proposer leurs services en France à partir d'un autre pays. Cette tentation sera forte s'ils ont obtenu au sein d'un autre État membre de l'Union européenne une licence dont ils pourraient se prévaloir auprès des joueurs français pour attester de leur honorabilité et de leur fiabilité".

 

Dans le cadre de la loi sur la prévention de la délinquance adoptée le 5 mars 2007, la France avait tenté de se doter d'un arsenal répressif destiné à lutter contre l'offre illégale des jeux d'argent à distance ; sur le principe, cette législation visait également les opérateurs licenciés dans un autre État membre.

 

Or, si le renforcement des sanctions relatives à la publicité illégale est rapidement entré en vigueur (bien que n'étant pas, en pratique, appliqué), les dispositions portant sur (i) l'obligation d'information pesant sur les fournisseurs d'accès sur les risques que présentent les sites de jeux illégaux et sur (ii) le blocage du paiement des gains en provenance des opérateurs illégaux ont fait l'objet de décrets d'applications que la Commission Européenne a rapidement considéré incompatibles avec le droit communautaire car visant des opérateurs européens.

 

Pour le gouvernement, cette position qui revient de facto à imposer aux Etats le principe de reconnaissance mutuelle n'est pas tenable, en ce qu'elle est incompatible avec le système de licence française spécifique et donc avec le schéma d'ouverture retenu.

 

Le Ministre du Budget a d'ailleurs affirmé avoir demandé à la Commission de débloquer les deux décrets d'application en question. C'est là un autre point en suspens...

(11) On peut toutefois relever que plus aucune poursuite, ne semble, à ce jour être nouvellement menée alors même que, juridiquement, rien ne justifie la mise en place d'un tel "moratoire judiciaire", ni le fait de subordonner la reprise des poursuites à l'encontre des sites illégaux à l'ouverture du marché. Il est vrai toutefois qu'il serait malvenu de poursuivre, dans le contexte actuel (procédures en cours ; discussion avec la Commission Européenne ; finalisation d'un plan d'ouverture du marché), les opérateurs européens proposant leurs services de jeux aux consommateurs français.

16.

Pour lutter contre l'offre illégale de jeux à distance, le rapport Durieux s'articule autour de plusieurs axes, dont tout laisse à penser qu'ils seront repris dans le schéma gouvernemental :

  • l'information des internautes sur les risques de l'offre illégale (12) ;
  • le blocage des gains (13) ;
  • le blocage administratif de l'accès aux sites illégaux (14) ;
  • l'encadrement de la publicité (15) ;
  • le renforcement des moyens de répression classiques (16) ;

(12) Les contours de l'information et des risques que peuvent encourir les internautes en jouant sur des sites illégaux de jeux sont précisés dans le rapport Durieux : captation de leurs données personnelles, notamment celles relatives à leurs moyens de paiement ; risque de non perception des gains ; manque de garantie sur l'honorabilité des opérateurs de ces sites...NB : Le rapport fait également état de la possible mise en place de sanctions à l'encontre des joueurs à distance alors que, jusqu'à présent, le joueur (sous réserve de la particularité visant les joueurs qui engagent des paris hippiques avec des opérateurs illégaux) n'est pas punissable, mais cette piste, "dont la mise en oeuvre pourrait s'avérer difficile", ne semble pas sérieusement envisagée.

 

(13) Cette mesure, déjà envisagée dans la loi sur la prévention de la délinquance, se fonde sur l'idée selon laquelle le recours au jeu illégal perd de son attrait si le joueur sait par avance qu'il peut ne pas toucher ses gains éventuels. Elle présente toutefois des limites techniques révélées par la possibilité de contourner cette interdiction via (i) l'ouverture d'un compte bancaire dans un pays où n'existerait pas une telle disposition, ou (ii) le transit des fonds en ayant recours aux services d'un organisme de paiement en ligne sécurisée.

 

(14) Le blocage de l'accès aux sites illégaux, bien que techniquement incertain, est un moyen de lutte indispensable car susceptible de compliquer l'action des opérateurs illégaux. A ce titre, la loi sur la prévention de la délinquance a introduit deux dispositions modifiant (i) la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et (ii) la loi du 29 juillet 1881 relative à la presse. Le blocage des sites ne peut intervenir, par principe, que par décision de l'autorité judiciaire ; certains s'interrogent, par souci d'efficacité, de la possibilité de mettre en oeuvre cette mesure sur simple décision administrative (en l'occurrence, à l'initiative de l'autorité de régulation).

 

(15) L'encadrement de la publicité a pour objectif prioritaire de canaliser la demande vers l'offre légale (et mécaniquement de lutter contre l'offre illégale).

Dès lors, les modifications apportées par la loi sur la prévention de la délinquance sur cet aspect devraient être maintenues, sauf à préciser que (i) la délivrance d'agrément fera de facto sortir les opérateurs concernés du champ d'application de la législation répressive et que (ii) la nature, les horaires et les supports de la publicité autorisé devront être clarifiés. Dans ce contexte, toute publicité pour des sites illégaux devrait être fermement poursuivie, que les campagnes soient menées off-line ou on-line.

 

(16) L'autorité de régulation sera chargée de la détection des opérateurs illégaux et de l'établissement d'une liste noire, bien qu'il soit, à notre sens, plus pratique et cohérent d'établir une liste blanche où les sites interdits seraient, à contrario, ceux qui n'y apparaissent pas (sans qu'il y ait ainsi lieu de procéder à une actualisation permanente). Cette liste s'appliquerait pour l'application des dispositions relatives (i) au blocage des gains en provenance de sites illégaux, (ii) au blocage administratif de l'accès aux sites illégaux et (iii) à la publicité de sites illégaux.

L'efficacité du dispositif suppose également de fortes mesures de coopération judiciaire entre Etats membres. Il est enfin souhaitable que les attributions de la police des jeux soient élargies aux jeux à distance.

17.

Outre la préservation des intérêts (ordre public ; ordre social ; fiscalité) largement évoqués par ailleurs, ce contrôle aura pour objet de protéger (i) les opérateurs historiques bénéficiant (ou devant bénéficier) de la faculté de proposer leur produit de jeux sur le territoire français, et (ii) les autres opérateurs qui, une fois agréés, bénéficieront légalement de cette même faculté.

 

De nombreux sites ne seront toutefois pas concernés par l'ouverture du marché ; pour autant ces sites continueront d'offrir leur produit via Internet sur le territoire français, d'autant qu'aucune disposition n'interdit aux internautes français de s'y connecter.

 

La recherche de mise en place d'un mécanisme technique susceptible de neutraliser la pénétration sur le sol français de sites proposant des activités prohibées sera donc déterminante quant à l'efficacité du nouveau dispositif. Cette démarche devant assurément être couplée avec le choix d'une offre de jeux qui soit suffisamment large afin que les sites illégaux ne soient pas recherchés par les consommateurs de jeux.

 

Avec lucidité, le rapport Durieux précise cependant qu'aucun de ces moyens n'est suffisant en soi pour lutter contre les opérateurs illégaux et que seul le cumul de ces dispositifs pourrait contribuer à décourager le recours aux opérateurs illégaux et limiter l'expansion de l'offre illégale.

18.

Initialement, le gouvernement s'était fixé comme objectif de présenter à la Commission le texte du projet de loi nécessaire à la mise en oeuvre de l'ouverture dans le courant du mois de septembre... Le projet de loi est désormais annoncé fin 2008 avec l'ambition toujours affichée de mettre en place l'autorité de régulation au cours de 1er semestre 2009 pour une ouverture du marché qui n'interviendrait pas avant fin 2009 / début 2010.

 

D'ici là, le Ministre du Budget a expliqué, lors de la conférence de presse de juin 2008, que les jeux en ligne demeurent pour l'instant interdits et toute publicité s'y rapportant également.

 

A cette occasion, il a été demandé aux futurs opérateurs potentiels de respecter le droit positif actuel, précisant que leur comportement pendant cette période sera pris en compte par l'autorité de régulation lors de la délivrance des agréments, sous peine de la voir refuser. Ici encore donc, affaire à suivre...

19.

A l'issue du colloque du 23 octobre 2008, reste donc à patienter, d'une part, pour vérifier dans quelle mesure les délais annoncés seront tenus ou reportés et, d'autre part, pour apprécier la teneur et le détail du projet de loi élaboré par le gouvernement, qui devra tout à la fois être examiné par la Commission Européenne et le Parlement.

 

Pour ce qui concerne la mise en place de l'autorité de régulation et la mise en oeuvre des procédures de délivrance des licences, la patience devra probablement également être de mise.

 

Mais cette description de l'état de la réflexion gouvernementale et des pistes envisagées afin de mettre sur pied cette ouverture maîtrisée ne doit pas pour autant occulter trois interrogations qui, parmi celles précédemment évoquées, subsistent.

20. La situation des casinotiers français

Alors que la perspective pour les casinotiers français d'être présents dans le secteur des jeux en ligne a clairement été envisagée en octobre 2007, force est de constater, un an plus tard, que l'autorité de tutelle n'a pas avancé sur ce dossier.

 

Ainsi, les casinotiers, malgré de timides tentatives, restent dans les "starting-block" et ne sont toujours pas véritablement présents sur la toile (17), à l'inverse de la Française des Jeux et du PMU qui, depuis plusieurs années maintenant, ont la possibilité de proposer leur produit sur Internet.

 

L'inégalité de traitement qui préside entre les trois opérateurs exploitant le monopole français en matière de jeux de hasard et d'argent et qui repose sur la distinction entre (i) les courses hippiques (PMU), (ii) les paris sportifs et loteries (la Française des Jeux) et (iii) les jeux de hasard (les casinos et, accessoirement, les cercles), continue donc, sans motif apparent (18), de perdurer.

 

Pourtant, cette distorsion dans la concurrence ne repose sur aucun fondement justifiant que l'offre sur Internet soit interdite aux casinos tout en étant autorisée pour la Française des Jeux et au PMU.

 

Une telle avancée était attendue ; elle s'avère pourtant toujours suspendue.

 

Ceci est d'autant plus surprenant qu'il s'agit finalement simplement d'étendre le "monopole" concédé par l'Etat français aux casinotiers sur la prestation de jeux en ligne, ce qui s'entend donc d'une question administrative "franco-française".

 

En tant que telle, cette ouverture ne relève en rien des relations avec la Commission Européenne.

(17) A l'exception d'un casinotier ayant d'ores et déjà ouvert un site en "play money" et qui a tout récemment annoncé son intention de franchir le pas et de "basculer" en "real money" nonobstant tous les risques que cela comporte.

 

(18) Si l'on réserve les questions liées à l'addiction, à la dangerosité de tels ou tels jeux de hasard et d'argent ou des impératifs d'ordre public (lesquels se feraient alors ressentir plus vigoureusement pour les jeux de casinos que pour les loteries, les paris hippiques ou sportifs), mais ce qui n'a pas fait l'objet d'étude significative.

21.

L'inertie administrative sur cette question est donc incompréhensible, sauf à ce que l'Etat anticipe que les casinotiers ne profitent de cette ouverture pour se lancer dans des activités de jeux pour lesquelles ils ne sont pas autorisés, notamment les paris sportifs ou hippiques (19) ; à moins qu'il ne s'agisse de s'assurer qu'ils n'exploiteront pas sur Internet des produits pour lesquels ils sont habilités en dur, tels que les machines à sous.

 

Ces aspects pourraient toutefois être clarifiés dès à présent.

(19) Par la nature même de leur autorisation, l'activité des casinos est limitée aux jeux de casinos et au poker ; leur intervention sur le net (lorsqu'elle sera autorisée) devrait donc, en principe, se limiter à cette activité. Or, si les opérateurs européens sont également autorisés à intervenir, ils devraient pouvoir proposer toutes leurs prestations de jeux, dont les jeux de casino et le poker.

Les casinotiers solliciteront alors vraisemblablement, par réciprocité, la possibilité de proposer des paris sportifs et des loteries sur Internet, avec pour conséquence de faire littéralement voler en éclats l'architecture sur laquelle s'est bâtie l'exploitation des trois segments du jeu en France.

22. L'appréciation de la Commission Européenne

Si l'Etat a fait connaître le schéma de l'ouverture "maîtrisée", tel qu'il l'entendait, la Commission Européenne reste silencieuse. Sans doute attend elle d'examiner les termes et le détail du projet de loi.

 

Pour autant, de nombreuses incertitudes demeurent sur l'appréciation qui sera faite par la Commission Européenne sur le schéma d'ouverture retenu par les autorités françaises.

 

Tel est notamment le cas de (i) la contestation du principe de reconnaissance mutuelle, (ii) l'exigence de la condition d'établissement en France imposée aux opérateurs (ou du moins de la filiale dédiée au territoire français), (iii) la pertinence du nouveau modèle français et la légitimité des restrictions qui subsisteront au regard de la règle selon laquelle les restrictions invoquées doivent être (a) justifiées par l'intérêt général, (b) non discriminatoires et © proportionnées par rapport à l'objectif poursuivi.

 

Plus concrètement encore, dans quelle mesure la Commission considérera-t-elle que l'objectif de ce nouveau modèle, assujettissant les opérateurs actifs à une surveillance étroite, est bien de prévenir l'exploitation des activités du secteur des jeux à des fins criminelles ou frauduleuses et de canaliser la demande dans des circuits contrôlables ?

 

De même, quel regard sera porté sur la mise en oeuvre pratique des critères imposés par l'Etat en vue de la délivrance d'une licence française ?

 

En un mot, dans quelle mesure la Commission Européenne adhérera-t-elle à la démarche de l'Etat français consistant à maintenir, certes dans un nouveau cadre traduisant des efforts significatifs comparé à son modèle historique, des atteintes (ou supposées telles) au droit communautaire ?

 

Sur toutes ces questions, en dépit des négociations menées, l'appréciation qui sera finalement faite par la Commission Européenne n'est pas totalement prévisible.

23. Le positionnement des opérateurs

Par delà la volonté de coopérer avec le gouvernement français aux fins de participer à la mise en oeuvre de cette ouverture maîtrisée et de postuler à l'octroi d'une ou plusieurs licences françaises, se pose la question de savoir si les conditions devant être remplies ne seront pas bien trop contraignantes pour que les opérateurs titulaires d'une licence valablement consentie par un Etat membre ne s'y plient.

 

Limitation de l'offre de jeux, soumission à un cahier des charges dont les stipulations s'annoncent extrêmement précises et restrictives, perte pour les licenciés de la marge de manoeuvre à laquelle ils sont habitués, obligation d'installation en France (ce qui implique les contrôles et la responsabilité associée), pression fiscale et efficacité relative des moyens de paralyser l'offre illégale, sont autant de facteurs négatifs qui seront nécessairement pris en compte par ces opérateurs.

 

A l'analyse, certains d'entre eux pourraient finalement se satisfaire du statu quo actuel et du maintien d'un positionnement illégal au regard du droit français pour s'en tenir à (i) l'approche résultant du seul droit communautaire et à (ii) la mise en oeuvre de mécanismes d'auto-régulation en offrant au consommateur un niveau de protection au moins équivalent à celui résultant des monopoles d'Etat.

 

Mais, et ce point entrera en ligne de compte afin de fixer la ligne de conduite, le fait de ne pas être titulaire d'une licence française impliquera l'interdiction de faire la publicité ou la promotion des sites illégaux, soit la perte du vecteur essentiel de captation du marché français dont chacun s'accorde à dire qu'il n'est pas encore arrivé à maturation et que sa croissance sera, au cours des prochaines années, régulière.

 

Or, on peut légitimement considérer qu'à compter de la mise en place de l'ouverture, les sanctions prévues, notamment en cas de publicité de sites illégaux seront, cette fois-ci, fermement mises en oeuvre.

 

C'est donc un choix difficile qui s'annonce pour les opérateurs titulaires d'une licence européenne, désireux de développer leur activité sur le territoire français.

24.

Pour conclure, reprenant la tonalité ludique ayant inspiré nos différentes "cartes", il est clair que les différents joueurs n'ont pas tous dévoilé leurs cartes et que la partie qui se déroule sous nos yeux est encore loin d'être achevée.

 

Et si, à ce jour, il y a mauvaise donne, c'est peut être parce que le "croupier" n'a pas tenu compte du fait que la variante actuellement la plus usitée n'est pas le poker fermé mais le poker ouvert où chacun doit composer avec les cartes communes affichées.

Le 13 novembre 2008

Eric Haber - Avocat associé

Cabinet ORSAY

146 avenue des Champs Elysées - Paris (75008)

Tél. : 01.56.59.88.88

ehaber@orsaylaw.com

Sommaire des articles : Le poker et le droit en France

Préambule

Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.

Le Poker est un jeu (première carte)

Le poker n'est pas qu'un jeu soumis à des lois dérogatoires : c'est un jeu de hasard.

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