Avec huit millions de dollars de gains sur le circuit live, dont deux empochés l'an dernier lors des Triton SHR Series Monténégro, Manig Loeser frappe aux portes du top 10 de la All Time Money List allemande. Gaëlle est allée à sa rencontre en marge du 100 000 € High Roller des WSOP Europe. L'occasion de constater que l'intéressé fait preuve d'un certain détachement vis-à-vis des titres et des trophées.
Salut Manig et merci d'avoir accepté de répondre aux questions de Club Poker. Depuis ta première place payée en 2010, tu as accumulé plus de huit millions de dollars de gains sur le circuit live. Comment as-tu voulu gérer ta carrière ? Tu avais un plan ?
Non je n'ai jamais vraiment eu de plan. Je savais juste que c'était ce que je voulais faire. J'ai travaillé dur pour m'améliorer et réussir aux tables. J'ai aussi eu pas mal de chance à mes débuts. J'ai notamment gagné gros sur l'un de mes premiers tournois. Ça m'a facilité la suite : plus de gains, plus de voyages... Les choses ont plutôt bien fonctionné pour moi. Mais je n'ai jamais eu de plan de carrière en tête.
Quelles ont été les périodes les plus difficiles de ta carrière ?
Bonne question, laisse-moi réfléchir... Il y a quelques années, j'avais beaucoup perdu à l'approche des World Series. Et puis ça a continué au Rio avec seulement deux petites places payées en l'espace de deux mois. Je n'arrêtais pas de me faire sortir. Surmonter cette mauvaise passe, me remettre à flot, ne pas perdre confiance en mes aptitudes : tout ça a été très difficile pour moi.
Tu n'as jamais songé à arrêter pour autant ?
Non, pas vraiment. Ça n'est jamais arrivé.
On t'a beaucoup vu jouer sur des parties télévisées high stakes. Quelles sont tes limites habituelles et avec quelle régularité joues-tu en cash game ?
Je joue très souvent. Parfois à Macao à des limites assez hautes, et d'une manière générale sur chaque événement live qui propose de belles parties. Quant à mes limites, elles dépendent vraiment des situations. Je peux jouer des limites assez basses comme 10/25, mais aussi monter très haut.
Tu viens de te classer 8e du High Roller à 25 000 euros. Comment se déroulent tes WSOP Europe jusqu'à présent ?
J'ai atteint la 15e place du 6-max, je n'étais pas loin. Ensuite j'ai rebuy plusieurs fois sur des petits tournois et les parties de cash game ne m'ont pas franchement souri. Et puis le High Roller à 25 00 euros est arrivé, et même si j'ai rebuy deux fois j'ai gagné un peu d'argent. Donc au final ça ne se passe pas trop mal.
Dans une interview datant de 2013, tu déclarais à propos de ce type de tournois : "Je n'aspire pas vraiment à y participer. Je ne vois pas trop de value sur ces tournois à 100 000 euros. Il faut vendre beaucoup d'action. Ce n'est pas pour moi pour le moment". Aujourd'hui tu es pourtant un grand habitué de ces tournois. Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
Oui c'est marrant, j'y repensais aussi. J'étais très différent à l'époque. Je tenais à jouer avec mon propre argent et je me contentais de petits tournois. Vendre une partie de mon action ne m'attirait pas du tout. Mais je jouais assez mal aussi il faut dire. Je n'aurais jamais gagné face à ce type de field.
Au fil du temps, je me suis amélioré et j'ai commencé à interroger mes amis à propos de ce qu'il fallait pour franchir un nouveau cap. L'idée d'entrer sur la scène super high roller a fait son chemin petit à petit. Et puis là aussi, j'ai eu la chance de réussir mes débuts. C'est toujours comme ça avec moi, et évidemment ça aide ! Si vous perdez beaucoup dès le début, la confiance en prend un coup. Je suis heureux d'avoir fait preuve de patience avant de tenter la transition.
Tu as travaillé ton jeu différemment quand tu t'es décidé à sauter le pas ?
Oui, bien sûr. Les tournois à buy-in modéré ou moyen sont très différents, notamment parce que les fields sont importants. Sur la scène high roller, on affronter toujours les mêmes joueurs. On se connaît tous, que ce soit les récréatifs ou les pros. Et puis si vous êtes coaché par les bonnes personnes, ça aide énormément...
Tu as des noms à nous donner ?
J'ai longtemps vécu avec Dominik Nitsche. Il m'a beaucoup aidé à améliorer mon jeu. C'est un excellent joueur, clairement bien meilleur que moi. Et puis en règle générale, tous les Allemands sont très sympas. On essaie tous de s'entraider.
Penses- tu avoir atteint ton plafond personnel, ou juges-tu au contraire avoir encore beaucoup à faire ?
Je pense jouer vraiment bien aujourd'hui. J'ai confiance en mes capacités. Pour autant, il y a toujours de la place pour des améliorations. Je ne me considère pas au top niveau. Je dois travailler des petites choses. Le jeu a changé et le GTO est devenu très important. Tout le monde connaît la meilleure solution à la plupart des spots. Mais on ne peut pas tout avoir en tête, donc travailler là-dessus est devenu essentiel.
"À mes débuts je tenais beaucoup à décrocher un bracelet, mais c'est devenu moins important aujourd'hui."
Tu as déclaré par le passé que ton rapport à l'argent a beaucoup évolué au cours de ta carrière. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ?
Oui, c'est très vrai ! Il y a une dizaine d'années, je n'avais pas beaucoup d'argent en poche. Et puis j'ai commencé à gagner beaucoup en tournois et en cash game. Je peux même dire que j'ai eu un très gros upswing. J'ai gagné beaucoup d'un coup et je me suis mis à dépenser sans trop réfléchir. J'ai dilapidé de l'argent dans des futilités. Aujourd'hui, j'essaie d'être un peu plus intelligent sur ce plan. Je vends des parts quand je sais qu'un tournoi est au-dessus de mes moyens, et je ne spew plus autant que j'en avais l'habitude.
Estimes-tu être plus heureux aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans ?
En général ? J'ai envie de répondre oui. Je suis certainement plus heureux aujourd'hui.
Tu as gagné plus de deux millions lors de l'étape monténégrine des Triton Super High Roller Series, et tu as aussi connu de nombreux deep runs lors de gros tournois. En revanche, tu n'as jamais remporté de majeur comme un WSOP ou un EPT. Est-ce que ça représente une frustration ?
Non, pas vraiment. À mes débuts je tenais beaucoup à décrocher un bracelet, mais c'est devenu moins important aujourd'hui. C'est juste un titre. Ce que je veux, c'est simplement jouer mon meilleur poker. Je ne me préoccupe plus trop des résultats et des classements.
Quel aspect de ta personnalité penses-tu que le poker a le plus exacerbé au fil des ans ?
Je dirais l'éthique de travail. C'est très important au poker. Les gens ont tendance à sous-estimer ça. Souvent, la personne qui se retrouve dans un downswing perd l'envie de jouer. Elle préfère faire autre chose et tout mettre sur le dos de la malchance. Personnellement, je me concentre sur la quête d'une solution. J'y consacre beaucoup d'heures de travail et ma persévérance paie.
Tu vis à Vienne, une ville qui réunit une grande communauté de joueurs allemands et autrichiens. Qui sont tes meilleurs amis et avec qui travailles-tu le plus ?
En fait j'ai déménagé en Grande-Bretagne récemment, à Brighton, mais je suis en effet longtemps resté à Vienne comme beaucoup de très bons joueurs. Certains ont aussi déménagé en Grande-Bretagneil y a peu. C'est surtout le groupe des Allemands, comme Steffen Sontheimer qui est un très bon ami, ou Fedor Holz même s'il a un peu pris sa retraite. C'est quelqu'un qui a une parfaite compréhension de l'univers du poker. Il y a aussi Christian Christner, qui ne joue plus beaucoup aujourd'hui mais qui m'a beaucoup aidé. Je leur parle très souvent. L'endroit où on habite ne compte pas vraiment. On passe pas mal de temps sur Skype.
Quels sont tes principaux objectifs désormais ?
C'est marrant car en fait je n'ai plus tellement d'objectifs précis dans le poker. Je ne m'intéresse plus trop aux titres et aux classements. En revanche j'aimerais profiter de la croissance du poker encore quelques années voire plus. Et puis beaucoup profiter des voyages aussi. Ils ont toujours occupé une place importante dans ma vie.
Tu as d'autres projets hors poker ?
Oui, je me suis investi dans quelques projets. C'est notamment le cas de NLG, nolimit.gg, une plateforme fondée par mon ami Stefan Schillhabel.
Où seras-tu les prochains mois ?
Je compte aller aux Bahamas en novembre pour le Carribean Party, et puis certainement en Floride et à Vegas en décembre. Ensuite 2019 commencera avec le PCA et l'Aussie Millions. Beaucoup de voyages à venir !