(mai 2007)
1.
Le spectre du droit pénal français est large ; si la tenue d'une maison de jeux de hasard, ou accessoirement la tenue de jeux de hasard sur la voie publique ou dans un lieu public n'est pas établie, les poursuites pourront toujours se fonder sur la loi du 21 mai 1836 relative aux loteries.
L'interdiction de principe des loteries offertes au public résulte de l'article 1 de la loi du 21 mai 1836 pour qui les loteries de toutes espèces sont prohibées, étant précisé que les loteries sont, en droit, plus largement définies que dans le langage courant (1).
Selon le texte, toute opération offerte au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort, constitue une loterie prohibée.
Par dérogation, la loi de finances du 31 mai 1933 a autorisé le gouvernement à créer une loterie nationale dont l'organisation et la gestion sont confiées à la Française des Jeux, dont les jeux sont depuis le mois d'avril 2002 accessibles au public sur Internet.
La loterie est illicite dès lors que quatre conditions cumulatives soient remplies : (i) une offre au public (ii) suscitant l'espérance d'un gain (iii) déterminé par le hasard (iv) en contrepartie d'un sacrifice pécuniaire.
2.
Tout d'abord, l'offre doit être faite au public.
Selon la Cour de Cassation, la condition de publicité est établie lorsque la vente ou la distribution des billets s'effectue par voie de presse, affichage, radio, télévision ou de toute autre manière (2) ; la participation à une partie de poker doit donc être publiquement proposée par les organisateurs ou leurs intermédiaires.
Par nature, Internet est accessible au public ; la condition de publicité sera donc en principe toujours remplie pour tout ce qui touche aux sites de jeux en ligne ou toute proposition de participation à un tournoi émanant d'un quelconque site dédié au poker.
Comme pour le délit de tenue d'une maison de jeux prohibée, demeure le point de savoir si cette condition est remplie lorsque l'accès à la loterie est conditionné à un mot de passe ou à un code secret connu des seuls participants.
La question se pose qu'il s'agisse des tournois organisés par des clubs et dédiés à ses seuls membres sur un site de poker en ligne ou des parties ou tournois organisés par ces mêmes clubs et se tenant en dur.
3.
En ce qui concerne l'intervention du hasard, sont réputées loteries interdites toutes les opérations dont le profit est attribué par le sort et, plus généralement, les opérations à titre onéreux auxquelles est mêlé une prime ou un avantage dépendant, même partiellement, du hasard.
Seule l'absence totale de hasard permet de distinguer la loterie du concours lequel ne fait l'objet d'aucune réglementation particulière ; il s'agit d'une forme de jeu licite.
Constituent ainsi des loteries prohibées : (i) Ies pronostics portant sur des compétitions sportives, dès lors que le résultat ne dépend pas uniquement d'une connaissance approfondie de la valeur des équipes, mais aussi et partiellement du hasard, (ii) le concours de mots croisés à solutions multiples pour lequel l'influence du hasard n'était pas totalement exclue (alors même que les questions posées faisaient principalement appel à l'intelligence, à la culture et à la sagacité) et (iii) bien qu'il n'existe pas de jurisprudence en la matière, des parties de cartes, donc l'organisation de parties ou tournois de poker.
En droit, et parce qu'il fait intervenir le hasard, le poker sera donc considéré comme une "loterie" au sens de la loi de 1836 ; pour les amateurs éclairés, c'est difficile à admettre mais c'est ainsi.
Il y a lieu de relever que le vocable "partiellement" a été introduit par la loi du 18 avril 1924 afin de mettre un terme à la jurisprudence considérant (à l'instar du texte relatif aux jeux de hasard) comme licites les loteries laissant une part prédominante à l'adresse ou aux combinaisons de l'intelligence.
L'intervention même partielle du hasard suffisant à caractériser la loterie, il ne serait pas même envisageable de soutenir, sur le terrain des loteries prohibées, que le poker n'est pas qu'un jeu de hasard puisque requérrant prioritairement la compétence, l'intelligence, la ruse, l'audace.
4.
Un gain, aussi minime soit-il, doit être constaté afin que les conditions du délit de loteries prohibées soient remplies ; le gain doit toutefois être valorisable en argent.
Il a ainsi été jugé qu'un jeu télématique (il s'agissait de black-jack) proposant seulement le paiement purement fictif d'une mise créditée tout aussi fictivement au profit du joueur n'est pas incriminé.
Si cette décision devait être transposée en matière de poker, elle aurait pour conséquence de faire sortir du champ de la loi relative aux loteries prohibées, les jeux et tournois en "play money", sous réserve que les gains soient exclusivement constitués d'un cumul de "play money".
5.
Les expressions de vente et d'opération employées par l'article 2 de la loi confirment qu'il doit exister pour le participant à la loterie un sacrifice pécuniaire, quel que soit son montant. Il n'est toutefois pas nécessaire qu'il y ait un risque de perte pour le joueur (3).
A l'inverse, si la loterie n'impose aux participants aucune dépense, il s'agit d'une pure libéralité non punissable.
Pour éviter d'être poursuivi, l'organisateur d'une loterie doit ainsi proposer au participant de lui rembourser l'intégralité des frais qui pourraient être occasionnés du fait de la participation à la loterie.
En cas de loteries sur Internet, le prix de la connexion devrait être remboursé aux participants pour que la loterie soit dépourvue de "tout" sacrifice financier pour l'internaute et échappe ainsi à la loi de 1836 (4).
En revanche, seule la participation (l'accès à la loterie) doit être exclusivement gratuite. Le fait que l'attribution d'un lot soit soumise au paiement de frais d'expédition ne rend pas la loterie illicite ; de même, le coût d'affranchissement ou d'une communication téléphonique pour connaître le lot attribué et entrer en sa possession n'ôte pas à la loterie son caractère légal.
6.
Bien que cela puisse surprendre, l'organisation de parties de poker relève donc bien de la loi du 21 mai 1836 relative aux loteries prohibées.
Les sanctions sont également lourdes : deux ans d'emprisonnement et, désormais, 60.000 € d'amende.
Elles sont encourues par les auteurs, entrepreneurs ou agents de loteries françaises ou étrangères prohibées ; en l'occurrence, l'incrimination vise les exploitants de casinos virtuels, et plus largement les organisateurs de parties ou tournois de poker.
Le délit de tenue d'une maison de jeux devrait toutefois être prioritairement retenu si les conditions de ce texte étaient réunies.
En effet, sur les tables virtuelles comme sur les tables en dur, les organisateurs mettent en place le cadre d'un jeu (qualifié) de hasard comportant un véritable enjeu pour la conquête duquel les joueurs vont miser de l'argent ; de même, les participants n'ont nullement conscience d'être les acteurs d'une "loterie" dont le terme fait perdre au poker ses lettres de noblesse.
7.
La loi portant prohibition des loteries contient une disposition qui jusqu'à récemment lui était propre ; elle sanctionne la publicité donnée à la loterie ; ainsi, selon l'article 4, ceux qui auront colporté ou distribué des billets de loteries prohibées ou fait connaître l'existence de ces dernières, par des avis, annonces, affiches ou par tout autre moyen de publication, ou facilité l'émission des billets, sont désormais punis de 30.000 € d'amende.
La mise en ligne d'informations ou de liens hypertextes permettant d'accéder à une loterie prohibée sur Internet constitue, selon la jurisprudence, un moyen de publication incriminé.
Partant, la responsabilité pénale des éditeurs de sites faisant la promotion d'une loterie prohibée (et donc, par assimilation, de poker-rooms) pouvait être engagée sur le fondement de la loi de 1836 alors même qu'elle ne semblait pas pouvoir l'être (faute de disposition similaire) au titre de la loi relative aux jeux de hasard, sauf à les mettre en cause en qualité de complice avec pour conséquence qu'ils étaient soumis aux mêmes sanctions que celles encourues par l'auteur de l'infraction.
La loi sur la prévention de la délinquance est venue combler cette carence et, bien qu'ayant renforcé les sanctions, atténuer le risque pour l'intermédiaire d'être qualifié de complice.
Eric Haber - Avocat associé
(1) La loterie est généralement considérée comme un jeu de hasard où l'on distribue un certain nombre de billets numérotés et où des lots sont distribués au titulaire des billets désignés par le sort.
(2) Il a ainsi été jugé que l'infraction est constituée en cas de loteries ou jeux mis en ligne sur un service télématique.
(3) Pour qu'il y ait sacrifice pécuniaire, il suffit de provoquer, par l'espérance d'un gain, un versement d'argent de l'acheteur, sans même qu'il soit nécessaire de constater une majoration du prix du produit dont la vente est adossée à une loterie (à titre d'illustration, la mise en vente de galettes des rois dont certaines contiennent un louis d'or a été qualifiée de loterie prohibée, alors même que le prix des produits ne faisait l'objet d'aucune majoration).
(4) On notera cependant que suivant le type d'abonnement contracté auprès du fournisseur d'accès, il peut s'avérer impossible d'évaluer les frais à rembourser pour que la loterie respecte la condition de gratuité.
Préambule
Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.
Le Poker est un jeu (première carte)
Le poker n'est pas qu'un jeu soumis à des lois dérogatoires : c'est un jeu de hasard.

Face aux incertitudes soulevées par l'affaire Chouette Poker, la Fédération Française de Poker Associatif (FFPA) a décidé de lancer une pétition citoyenne sur la plateforme officielle de l'Assemblée Nationale. L'objectif de la démarché est d'ouvrir "un débat parlementaire sur l'adaptation du cadre légal applicable aux clubs de poker associatifs".
Selon une information du Parisien, le fils de Frédérique Ruggieri ainsi qu'un couple de Chinois ont été mis en examen pour des soupçons de blanchiment après la découverte d'une somme de 160 000 € dans le coffre-fort de l'établissement. Celle-ci aurait été déposée de façon illégale en dehors des horaires d'ouverture. La défense assure de son côté que les sommes ont été enregistrées dans les règles. Quant au Club, il évoque un litige professionnel en interne : les faits auraient d'ailleurs été révélés par l'ancien directeur responsable, depuis révoqué.
À la lumière des éléments de l'affaire Chouette Poker, la Fédération Française de Poker Associatif souligne dans un communiqué que la lecture de la réglementation par le procureur de la République "introduit une incertitude pour les clubs associatifs". La FFPA appelle donc de ses vœux "une clarification officielle" et, dans cette attente, attire l'attention des associations et de leurs responsables sur les risques encourus.

Chouette Poker, un club de poker associatif basé à Saint Apollinaire dans la banlieue de Dijon, a fait l'objet le week-end dernier d'une opération judiciaire. L'association ainsi que son président sont désormais poursuivis pour "des faits d'organisation et de réalisation de jeux d'argent et de hasard prohibés".

Durant près de deux ans, les joueurs demandant une auto-exclusion temporaire auprès d'Unibet ont vu la durée de la mesure convertie de mois en jours à cause d'un dysfonctionnement informatique. Dans une décision en date du 3 mars, la commission des sanctions de l'Autorité Nationale des Jeux inflige une sanction pécuniaire de 800 000 € à la société-mère de l'opérateur.