1.
En la matière, plusieurs lois se conjuguent, sachant que les sanctions qu'elles comportent ont récemment été aggravées et étendues par les articles 17 et suivants de la loi sur la prévention de la délinquance adoptée le 5 mars 2007.
Les jeux de hasard reposant, par hypothèse, sur la chance, ils constituent tous une forme de "loterie".
L'organisation de parties de poker peut donc tout à la fois relever de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries que de la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard.
A moins que ce jeu ne soit pratiqué dans un casino ou un cercle, établissements respectivement réglementés par les lois des 15 juin 1907 (1) et 30 juin 1923 (2), et de leurs textes d'application.
- Troisième carte : la loi relative aux jeux de hasard du 12 juillet 1983
- Quatrième carte : la loi relative aux loteries du 21 mai 1836
- Cinquième carte : la loi sur la prévention de la délinquance du 5 mars 2007
2.
Puisant sa source dans l'ancien article 410 du Code pénal de 1810, la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard est le texte dont l'application apparaît la plus naturelle.
Selon l'article 1er alinéa 1 de la loi, le fait de participer à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d'un affilié, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 € d'amende.
Selon l'alinéa 2, le fait d'établir ou de tenir sur la voie publique et ses dépendances ainsi que dans les lieux publics ou ouverts au public et dans les dépendances, même privées, de ceux-ci, tous jeux de hasard non autorisés par la loi dont l'enjeu est en argent est puni de six mois d'emprisonnement et de 7.500 € d'amende (3).
Outre l'intention coupable, c'est-à-dire la conscience d'avoir participé à la tenue d'une maison de jeux (4), quatre conditions cumulatives sont traditionnellement requises : (i) un jeu de hasard, (ii) un enjeu en argent bien qu'il puisse également s'agir d'objets, (iii) la tenue d'une maison de jeux (iv) ouverte au public.
Etant admis que le poker est un jeu de hasard, les trois autres critères doivent retenir l'attention de l'organisateur de parties de poker.
Ils suscitent des interrogations tant en ce qui concerne l'organisation de parties ou tournois dans un cercle restreint par des associations, clubs ou autres structures fédérant des amateurs de poker, qu'au regard des casinos virtuels.
3.
L'enjeu est généralement défini comme l'argent que les joueurs mettent "en jeu" en commençant la partie et qui doit revenir au gagnant (les synonymes mentionnés dans les principaux dictionnaires étant la "mise" ou bien encore la "cave") ; par extension l'enjeu s'entend de ce que l'on peut perdre mais encore de ce que l'on peut gagner.
En pratique, le gain potentiel est constitué de la somme des enjeux (sous déduction, le cas échéant, du prélèvement des organisateurs).
L'enjeu est alors assimilé au gain, ce qui est source de confusion ; confusion à laquelle l'imprécision du texte (qui ne vise pas expressément l'enjeu) ne vient pas remédier.
Toutefois, selon l'interprétation généralement faite, le critère de l'enjeu est rempli par la simple remise d'un prix ayant une valeur, quelle que soit sa nature (argent ; objets ; lots) ou sa contrepartie monétaire, sans même qu'il soit nécessaire de tenir compte de l'existence ou non pour le joueur d'un sacrifice pécuniaire, c'est-à-dire d'un "enjeu" au sens littéral du terme.
D'un point de vue sémantique, cette analyse extensive et fortement relayée par les renseignements généraux, pourrait être contestée ; il s'agirait alors de soutenir que (i) l'enjeu s'entend de la seule mise et ne se confond pas avec le gain pour en conclure que (ii) faute de "mise" les conditions d'application du texte pénal ne sont pas réunies quant bien même un gain serait distribué aux gagnants.
Il pourrait cependant être opposé aux tenants de cette thèse que le texte pénal, pris à la lettre, ne mentionne pas même l'existence de "l'enjeu" comme élément constitutif de l'infraction, de telle sorte que cette subtile distinction n'a pas lieu d'être et qu'il suffit d'être en présence d'un jeu de hasard entraînant la distribution d'un gain pour que la loi s'applique.
En l'état, il est donc préférable de ne pas "jouer" sur les mots et l'on considèrera que les clubs, fédérations et associations sont en zone de risque si elles venaient à organiser des tournois, mêmes gratuits, dès lors que les joueurs gagneraient des lots valorisables en argent.
Le seul moyen d'éluder en toute certitude la mise en ?uvre des poursuites consiste à organiser des parties ou tournois de poker sans le moindre enjeu (selon son acceptation la plus large), c'est-à-dire sans mise ni gain.
4.
Concernant l'enjeu, une autre interrogation, spécifique à Internet, anime le débat. Faut-il faire une analyse distincte pour les parties virtuelles dédiées à la seule "play money" ?
La "play money" pose problème dès lors que (i) il n'y a pas de sacrifice pécuniaire de la part du joueur et que (ii) le gain n'est pas monétairement valorisable.
Faute d?enjeu, le texte pénal ne devrait pas en principe recevoir application mais compte tenu du marche pied que représente les sites "play money" vers les sites "real money", il serait audacieux d'avoir un avis tranché sur la question.
La situation est d'ailleurs plus complexe qu'il n'y paraît dans la mesure où de nombreux tournois "play money" sont dotés par les organisateurs d'un prize pool offrant au vainqueur la possibilité d'accéder à un tournoi en "real money", soit un prix non dépourvu d'une valeur.
Dans ce cas, il y a bien un "gain" quant bien même il n'aurait pas entraîné de sacrifice pécuniaire pour le joueur internaute ; l'application de la loi pénale semble donc acquise sachant que les tribunaux n?ont jamais statué sur ce cas de figure.
5.
Afin de constituer le délit de tenue de maison de jeux, le jeu de hasard doit se tenir dans un endroit privatif (appartement ; débit de boissons ; restaurant ;...).
Après avoir estimé que seules les maisons affectées uniquement au jeu tombaient sous l'application du texte pénal, la jurisprudence considère désormais que l'interdiction est générale et absolue ; il est dès lors sans importance que l'établissement en question ne soit pas affecté exclusivement aux jeux.
Les décisions, relativement anciennes, sont cependant contradictoires ; il a ainsi été jugé que la maison de jeux au sens de la loi devait présenter les caractères de continuité et de permanence mais, à l'inverse, qu'il importait peu que l'ouverture de la maison de jeux ait été permanente ou temporaire.
Dans le contexte actuel, il est préférable de considérer qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait réitération ou prévision de réunions ultérieures pour que le délit soit constitué.
6.
Une question, là encore spécifique à Internet, se pose en ce qui concerne les casinos virtuels organisant des parties de poker : la tenue de jeux de hasard sur Internet répond elle à la notion de "maison" de jeux visée par le texte ?
Les rédacteurs de la loi ne pouvaient bien sûr envisager le développement d'Internet et la possibilité d'une maison de jeux "virtuelle" ; le terme de "maison" supposait, sinon un immeuble, au moins quelques cloisons et un toit isolant les joueurs des passants.
Cette conception matérielle est battue en brèche par Internet qui, reliant un site web à des ordinateurs isolés les uns des autres, ne caractérise pas une maison de jeux au sens physique du terme.
Bien qu'étant d?interprétation stricte, la loi pénale n'en demeure pas moins susceptible de s'adapter aux évolutions techniques.
Il est ainsi admis que la notion de "maison" s?étend à tout établissement ayant un caractère de continuité et de permanence ; de même, les auteurs s'accordent à considérer que ce terme qui certes désigne principalement un édifice appréhende également, par extension, une entreprise (il a notamment été jugé qu'un établissement de jeux par correspondance pouvait faire l'objet de poursuites).
Un casino virtuel organisant sur Internet des parties de poker et plus généralement des jeux de hasard sera donc qualifié, si la question venait à être posée devant les juridictions, de "maison" de jeux prohibée au sens de l'article 1er, qu'il s'agisse de l'alinéa 1 ou 2, de la loi du 12 juillet 1983.
7.
Pour les tables en dur organisées par des particuliers, clubs ou associations, c'est le critère d'ouverture au public qui sera donc crucial.
Par principe, la tenue de jeux de hasard dans une maison privée n'est pas punissable et ne tombe sous le coup de la loi pénale que pour ceux qui donnent à jouer publiquement ou bien encore qui organisent des tripots dans lesquels les joueurs sont librement admis.
Pour autant, il serait trop facile d'échapper à la loi si, dans une maison privée, le public était librement admis ou si l'entrée était subordonnée à un contrôle de pure forme ; dans un tel cas de figure, on est nécessairement en présence d'une maison de jeux clandestine tenue en infraction avec la loi du 12 juillet 1983.
A l'inverse, il en résulte que l'organisation de tables en dur dans un cadre privé, familial ou amical restreint, ne caractérise pas le délit de tenue d'une maison de jeux de hasard, y compris si les parties sont dotées d'enjeux en argent.
Mais au-delà de ce seul cadre, l'organisation de parties ou de tournois comportant un enjeu est répréhensible, alors même qu'il n'y aurait pas de sacrifice pécuniaire de la part des joueurs.
8.
Concernant la condition d'ouverture au public, une question subsiste : qu'en est-il si le jeu n'a lieu qu'entre personnes qui se rencontrent au moyen d'un code d'accès secret connu d'elles seules et qui, par hypothèse, n'a pas fait l'objet d'une large divulgation auprès du public ?
Dans cette hypothèse, on peut se demander si la publicité ne disparaît pas et avec elle le délit lui-même.
A notre sens, le fait de conditionner la participation à un tournoi, à l?adhésion à un club, une association ou un site, censé restreindre la publicité donnée à la "maison" de jeux, n'ôte pas le caractère de publicité dès lors qu'il ne s'agit pas, pour le propriétaire des lieux ou l'organisateur de la partie, d'inviter les joueurs à titre personnel et nominatif.
Aucune décision n'a été rendue en la matière mais la solution sera probablement guidée par l'examen des conditions (i) d'adhésion au club considéré, (ii) d'organisation du tournoi et (iii) de la divulgation du mot de passe.
L'interrogation se transpose bien sûr dans le cas des cyber-casinos où l'accès, sinon au site, à certains tournois est parfois conditionné à la connaissance d'un mot de passe.
9.
En dehors des dérogations consenties aux casinos et aux cercles, il n'est donc pas permis aux fédérations et clubs d'organiser des parties et tournois de poker dotés en prix, ni aux casinos virtuels d'opérer sur le territoire français.
Il en est ainsi pour les casinos virtuels installés à l'étranger mais également pour les casinos physiques français relevant de la loi du 15 juin 1907 et pourtant titulaires des autorisations requises afin d'exercer une activité de jeux de hasard.
A ce titre, le sénateur François Trucy dont le rapport intitulé "les jeux de hasard et d'argent en France" fait désormais référence, souligne la position paradoxale du gouvernement qui autorise la Française des Jeux en charge de l'organisation et de l'exploitation des loteries à accéder à Internet alors que dans le même temps il n'autorise pas les opérateurs privés français à étendre leurs activités sur le web.
Les casinos physiques français subissent ainsi une concurrence déloyale des sites étrangers accessibles à partir du territoire français et qui proposent aux internautes français d'avoir accès de leur domicile à toute sorte de jeux d'argent.
10.
Le délit de tenue d'une maison de jeux de hasard est lourdement sanctionné : trois ans d'emprisonnement et 45.000 € d'amende ; les peines sont portées à 7 ans d'emprisonnement et à 100.000 € d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée.
Depuis la loi Perben du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, les personnes morales coupables d'infraction à la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard (et à la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries) peuvent être déclarées responsables pénalement des infractions ; les peines encourues par les personnes morales sont portées au quintuple de celles prévues pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction (5).
Le délit vise les "tenanciers", c'est-à-dire ceux-là même qui tiennent la maison de jeux et y admettent le public, soit le particulier qui reçoit à son domicile, le gérant de l'établissement ou bien encore le président, le trésorier et le secrétaire d'un "cercle" illicite ; par extension, les animateurs d'une association ou d'un club organisant des parties et tournois de poker sont également appréhendés par le texte.
Le joueur n'est pas punissable, à moins qu'il ait pris part à l'administration ou à l'organisation de l'établissement ; le joueur ne se rend pas plus complice de l'infraction principale de tenue d'une maison de jeux dès lors qu'il n'a pas, sciemment, par aide ou par assistance, facilité la préparation ou la consommation de l'infraction (constituée avant même le démarrage du jeu).
A titre de sanction accessoire, le texte prévoit la confiscation des biens mobiliers ayant servi directement ou indirectement à commettre l'infraction ou qui en sont le produit, ce qui s'entend des fonds ou effets exposés aux jeux, soit les sommes trouvées sur les tables de jeux qu'elles appartiennent au tenancier de la maison de jeux ou aux joueurs eux-mêmes (le joueur est donc, à ce titre, punissable). Les fonds trouvés dans les poches des joueurs ne peuvent toutefois être saisis et confisqués, car rien de permet d'affirmer avec certitude qu'ils auraient été affectés aux jeux.
La poursuite du délit de tenue de maison de jeux de hasard est régie par les règles du droit commun, notamment en matière de preuve. Le plus souvent, la procédure commence par une perquisition de police mais le flagrant délit n'est pas indispensable et la preuve peut être rapportée par témoignage.
Pour que la procédure soit valable, il suffit aux officiers de police d'indiquer qu'ils ont pu pénétrer librement dans les lieux où l'on jouait et que n'importe qui pouvait y être admis.
Eric Haber - Avocat associé
(1) Selon l'article 1er de la loi du 15 juin 1907 : "Par dérogation à l'article 1er de la loi n°83-628 du 12 juillet 1983 relatif aux jeux de hasard, il pourra être accordé aux casinos de stations balnéaires, thermales ou climatiques, sous quelque nom que ces établissements soient désignés, l'autorisation temporaire d'ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés où seront pratiqués certains jeux de hasard sous les conditions énoncées dans les articles suivants. Cette autorisation détermine la durée d'exploitation des jeux en fonction de la ou des périodicités d'activité de la station".
Cette autorisation est accordée par arrêté du ministre de l'intérieur, après enquête et avis de la commission supérieure des jeux sur l'avis conforme du conseil municipal et en considération d'un cahier des charges établi par celui-ci et approuvé par le ministre de l'intérieur.
Un décret précis, en date du 22 décembre 1959, règlemente la gestion des casinos, la nature des jeux autorisés, les conditions d'accès dans les salles de jeux et détermine les prélèvements opérés par l'Etat et les communes sur les produits des jeux ; de nombreuses sanctions pénales sont attachées à la violation de ces dispositions.
(2) Les cercles sont institués par l'article 47 de la loi du 30 juin 1923 et réglementés par le décret d'application du 5 mai 1947 ainsi que l'arrêté ministériel du 15 juillet 1947.
(3) Cette disposition a vocation à s'appliquer dans l'hypothèse, par exemple, de l'organisation de tables de poker sur un lieu de vacances (plages ; clubs ; ....), dès lors que l'enjeu (précision que ne comporte pas l'alinéa 1) est en argent ; il importe peu cependant que le gain lui-même ne soit pas en argent.
Elle vise également, en tant que de besoin, Internet, le réseau étant, par nature, ouvert au public. Internet peut d'ailleurs être considéré comme un lieu public.
(4) L'intention se distingue des mobiles, lesquels sont indifférents, celui qui agit par appât du gain est tout aussi punissable que celui qui tient une maison de jeux pour le seul plaisir du jeu.
(5) La personne morale encourt également des peines accessoires telles que (i) la fermeture des établissements et filiales concernés, (ii) la confiscation de la chose qui a servi ou a été destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit et (iii) la publicité de la décision du justice.
(mai 2007)
Préambule
Travaux rédigés par Maître Éric Haber, avocat spécialisé en Droit du jeu.
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