Un an après sa première interview sur Club Poker, Jean-François Vilotte a accepté de faire le point sur la situation actuelle du marché français du poker en ligne. Le Président de l'ARJEL évoque tour à tour les sujets de la fiscalité, de l'ouverture des liquidités et des variantes. Sur ce dernier point, il se dit d'ailleurs "optimiste quant à la sortie prochaine du décret [du Ministère de l'Intérieur]".
Bonjour Jean-François Vilotte. J'aimerais que l'on débute cet entretien avec l'actualité la plus récente, c'est-à-dire la publication par l'Autorité de Régulation des Jeux En Ligne (ARJEL) des données du troisième trimestre 2013. S'agissant du poker en particulier, le tassement laisse place à une véritable dégringolade avec des mises en recul de 21 % pour le cash game. Quelle est votre analyse de ces chiffres ?
Tout d'abord, ces chiffres du troisième trimestre 2013 sont en ligne avec ceux que nous avions constatés au premier semestre, même s'il y a dans certains cas un phénomène d'amplification. La baisse des mises en cash game n'est pas compensée par l'augmentation constatée des droits d'entrée des tournois sur la même période. Il s'agit d'une situation, en ce qui concerne le poker, qui est préoccupante. Il convient donc de rechercher les facteurs expliquant cette évolution. Personnellement, je crois qu'il n'existe pas un seul facteur d'explication mais bel et bien plusieurs, dont certains sur lesquels nous sommes d'ailleurs en mesure d'agir. C'est précisément le sens de plusieurs propositions formulées par l'ARJEL.
Pour commencer, quels peuvent être les facteurs en cause ? Il y a d'abord la conjoncture économique. Elle n'explique pas tout. J'insiste là-dessus. Mais le poker est tout de même une activité de loisir, au même titre par exemple que les paris hippiques, et cela signifie que des arbitrages sont effectués par les consommateurs.
Il y a ensuite un autre argument qui est souvent avancé par les opérateurs et les joueurs : celui de la fiscalité. C'est un argument auquel je suis sensible. Vous savez que l'ARJEL a formulé une proposition visant à modifier l'assiette fiscale, en considérant qu'une taxation sur le Produit Brut des Jeux (PBJ) était un choix plus logique sur le plan économique que sur le montant des mises. Ceci étant dit, l'argument fiscal reste insuffisant pour expliquer la situation actuelle du marché. Quand on regarde par exemple les marchés italien et espagnol, qui sont moins fiscalisés que le nôtre sur le plan du poker, on constate que le phénomène de baisse des mises y est très supérieur à celui que nous connaissons. Sur les trois premiers trimestres de l'année 2013 par exemple, vous avez une baisse globale du PBJ du poker qui est en France de 13 %. En Italie, cette baisse est de l'ordre de 35 %. Bref, je ne dis pas que la fiscalité ne joue pas le rôle de facteur aggravant. Simplement, il est clair qu'elle ne peut pas expliquer à elle seule les évolutions que nous constatons.
Quelles autres explications pouvons-nous donner ? D'abord il faut toujours se rappeler que sur Internet, les opérateurs légaux sont en concurrence avec les opérateurs illégaux. Il faut donc rester très attentif à l'attractivité de l'offre légale. On peut engager toutes les procédures que l'on veut pour lutter contre l'offre illégale — certaines gagnent aujourd'hui beaucoup en efficacité — mais cette offre illégale restera quoiqu'il en soit toujours présente. Il faut donc se poser en permanence la question de l'attractivité de l'offre légale.
Par ailleurs, en ce qui concerne les jeux par répartition comme le poker, il y a un autre paramètre de taille sur lequel on peut travailler : la masse de joueurs. Elle doit être suffisante pour que les sites soient attractifs et que les joueurs, quel que soit leur niveau, puissent trouver plaisir à s'asseoir à leurs tables. Ce phénomène explique d'ailleurs en partie la concentration actuelle du marché français : 90 % des mises sont le fait de trois opérateurs, 80 % des mises le sont même de deux opérateurs uniquement. On voit donc bien l'importance pour le poker du volume des masses.
C'est pourquoi il nous semble important de travailler sur cette question en faisant avancer le sujet des liquidités internationales. Nous le disons aujourd'hui, nous l'avons redit au gouvernement, tout en rappelant bien sûr qu'une modification de la loi est nécessaire. Nous travaillons avec nos amis italiens et espagnols sur cette question importante. Il est important de la faire évoluer. Pas dans n'importe quelles conditions, et bien sûr sans préjudice des autres objectifs de régulation (l'addiction, la protection des mineurs, la sincérité des tirages, la lutte contre le blanchiment...). Mais il faut faire évoluer cette question. Il existe aujourd'hui des standards de régulation — partagés entre plusieurs autorités de régulation — qui permettent de traiter cette question des liquidités et d'en envisager la mutualisation à l'avenir.
Enfin, je pense qu'il faut offrir aux joueurs davantage de variantes qu'il n'en existe aujourd'hui. Il faut que l'offre s'adapte. En matière de poker cependant, ce n'est pas l'ARJEL qui arrête la liste des variantes autorisées. Cette question relève d'un décret du Ministère de l'Intérieur. Je dois dire que je pense que ça manque de réactivité. Quand on régule de la sorte un marché qui est extrêmement évolutif — le marché du poker aujourd'hui n'est pas le même qu'en 2010, mais les règles n'ont pourtant pas changé — on risque de ne pas tenir notre objectif d'une offre suffisamment attractive pour chasser l'offre illégale. L'enjeu que nous avons aujourd'hui à traiter s'agissant du poker, c'est donc de donner au régulateur les outils juridiques nécessaires pour faire évoluer l'offre de manière réactive, toujours bien sûr sans préjudice pour les autres objectifs de régulation.
D'ailleurs, c'est l'un des enseignements des données du troisième trimestre : s'agissant des paris sportifs, domaine dans lequel l'ARJEL est compétente pour faire évoluer les listes des compétitions et éléments de score sur lesquels il est possible de parier, les indicateurs sont aujourd'hui beaucoup plus favorables. Tous les quinze jours, lors de chaque réunion du collège, l'offre susceptible d'être proposée par les opérateurs de paris sportifs évolue : tantôt dans un sens restrictif quand il existe des enjeux d'éthique sportive, tantôt de manière favorable comme ce fut par exemple le cas lors des Jeux Olympiques. Il faut une plasticité de la régulation au moins équivalente à l'évolution du marché. Nous disposons de cette compétence pour les paris sportifs et les mises ont augmenté de 17 % sans aucun préjudice pour l'éthique. Il existe en revanche une certaine rigidité pour le poker, dont je pense qu'elle aggrave d'autres facteurs.
À mon sens, la comparaison des deux secteurs — poker et paris sportifs — est vraiment intéressante car elle démontre que la réactivité permet d'obtenir des résultats et qu'une régulation rigide est à l'inverse susceptible de faire le jeu des opérateurs illégaux.
Vous venez de survoler la plupart des problématiques qui rythment aujourd'hui la vie du marché français du poker en ligne. J'aimerais maintenant que nous revenions plus en détail sur chacune de ces problématiques. S'agissant tout d'abord des variantes, vous avez formulé des propositions accueillies favorablement par les joueurs et les opérateurs. Pourtant, ces recommandations qui datent de près de deux ans n'ont toujours pas été validées par un décret du Ministère de l'Intérieur. Avez-vous des éléments d'information à nous donner ?
Je n'en ai pas. Vous avez raison de souligner que le décret attendu n'est pas encore sorti. Il y a eu du côté de l'État une mobilisation sur les sujets économiques traités par la loi de consommation, qui sont bien entendu des sujets importants. Peut-être que cette mobilisation a fait passer au second plan le décret concernant les variantes. Néanmoins, je suis aujourd'hui optimiste quant à la sortie prochaine de ce décret. Je rappelle d'ailleurs que ces variantes sont déjà disponibles dans les cercles de jeux physiques et qu'aucune raison valable ne s'oppose à ce qu'elles soient offertes un jour aux internautes.
En résumé, donc, je suis optimiste et je pense que c'est un sujet qui doit maintenant pouvoir être traité dans des délais raisonnables.
D'autant que les casinotiers ont dans le même temps formulé des demandes visant à l'autorisation de nouveaux jeux et ont obtenu gain de cause assez rapidement...
Vous avez raison, et sur ce sujet je regrette vraiment que la réactivité offerte au niveau des paris sportifs ne soit pas aujourd'hui possible pour le poker. Mais je reste tout de même optimiste sur la possibilité de voir ce décret arriver rapidement.
Abordons un autre sujet que vous avez évoqué tout à l'heure : celui d'un déplacement de l'assiette fiscale depuis les mises vers le PBJ. L'ARJEL a déjà eu l'occasion de formuler des propositions sur cette question qui relève du législateur. Ces recommandations suscitent-elles aujourd'hui un intérêt de la part des élus ?
C'est un sujet plus complexe, notamment parce qu'ils soulève des problèmes de conventions internationales en matière fiscale. Ceci étant, on constate qu'un grand nombre de pays européens taxent le PBJ et non pas les mises sans que cela ne soulève de problème.
Tout ce que je peux dire sur cette question, c'est qu'aujourd'hui nous avons ouvert ce débat. Il est sur la table et fait parfois l'objet d'amendements. Bref, il existe. Quand sera-t-il dénoué et dans quel sens ? Je ne peux pas me prononcer. C'est vraiment quelque chose qui relève du débat parlementaire et non pas des compétences de l'ARJEL.
Je précise tout de même qu'à chaque fois que notre avis est sollicité sur cette question, ou à chaque fois que nous prenons l'initiative de donner un avis, notre réponse est la même et n'a jamais changé : nous prônons un changement d'assiette vers le PBJ.
Depuis maintenant trois ans, le modèle de la taxation sur les mises a montré ses limites. Et dans le même temps, la majorité des autres marchés ont fait le choix de la taxation sur le PBJ. De l'extérieur, les délais pour obtenir une avancée sur ce sujet semblent très longs...
Encore une fois, je continue de préconiser un changement d'assiette. Je l'ai toujours dit. Mais pour autant, la question fiscale n'est pas l'alpha et l'omega de l'amélioration de la situation du marché. D'abord pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, liées à la situation des marchés voisins. Ensuite parce que si l'on compare les différents secteurs de jeux et si l'on rapporte la taxation au PBJ, le poker est aujourd'hui le moins taxé des trois secteurs ouverts à la concurrence. Nous ne changeons donc pas d'avis sur ce problème d'assiette, mais nous ne pensons pas pour autant qu'il s'agit de l'unique explication de la baisse du poker.
Par ailleurs, sur le plan de la technique fiscale, attention lorsque l'on dit qu'un grand nombre de pays européens taxent le PBJ. C'est vrai, mais il faut aussi regarder si dans les législations nationales de ces pays il existe une liberté d'établissement des opérateurs partout en Europe. Or vous avez un certain nombre de pays qui taxent le PBJ mais qui n'offrent pas cette possibilité aux opérateurs de s'installer en dehors du territoire national. Ce sujet est d'ailleurs l'un de ceux qui est aujourd'hui en débat. Quid de la taxation sur le PBJ pour un opérateur installé en dehors du pays considéré ? Cette question en appelle d'autres et je ne vais pas rentrer dans les détails. Notre analyse est que c'est possible, mais nous ne négligeons pas la complexité de cette question sur le plan juridique.
Pour refermer ce sujet de la fiscalité, vous déclariez récemment dans une interview accordée au magazine Challenges : "Cette réforme ne doit pas avoir pour conséquence une baisse des recettes fiscales pour l'État, qui ne peut pas se permettre d'écart budgétaire actuellement". Je pense que tout le monde sera d'accord là-dessus. Toutefois, est-ce que ce n'est pas aujourd'hui l'immobilisme qui conduit à une réduction des recettes fiscales ? Moins de mises, c'est aussi moins de recettes pour l'État...
Vous avez raison. Quand l'ARJEL a proposé dans le rapport de revoyure un changement d'assiette fiscale, nous avons clairement indiqué que ce changement d'assiette n'aurait pas nécessairement pour conséquence une baisse mécanique des recettes. Cette modification permettrait en effet de donner des marges de manœuvre plus importantes aux opérateurs, lesquelles pourraient ensuite aboutir à un élargissement de l'assiette.
Si vous répondez à la baisse des mises et du PBJ par plusieurs réformes (liquidités, assiette fiscale, variantes...) — une seule ne suffirait pas — vous obtenez un effet dynamique sur l'assiette. Ce n'est pas parce que vous changez celle-ci que vos recettes baissent. Il est même possible que ce soit l'inverse. Mais au contraire, si vous avez un système fiscal qui conduit l'assiette à diminuer, les recettes ne peuvent bien sûr pas augmenter. En 2013, il est à ce sujet probable que les recettes fiscales des jeux en ligne seront stagnantes. Elles étaient pour rappel croissantes lors des deux années précédentes.
Avec probablement des perspectives baissières l'an prochain...
Écoutez, on verra. Mais en tout cas on peut d'ores et déjà prévoir, si le quatrième trimestre reste dans la continuité de ce que nous connaissons en ce moment, un phénomène de stagnation des recettes fiscales. La baisse de l'assiette poker devrait être tout juste compensée par l'augmentation de l'assiette paris sportifs, les paris sportifs étant pour rappel davantage taxés que le poker.
Cette question de la taxation est également problématique en termes de convergence avec les autres marchés européens. Récemment, votre alter ego espagnol Carlos Hernandez déclarait que les marchés espagnol et italien étaient proches, mais que ce n'était pas le cas de la France pour l'instant. Le sujet de la taxation semblait en particulier poser problème. La modification de l'assiette est-elle un préalable indispensable à un examen d'un partage des liquidités avec d'autres marchés ?
Ce n'est pas tout à fait le problème fiscal que mon collègue évoquait, mais plutôt le problème législatif. En Espagne et en Italie, une modification de la loi n'est pas nécessaire pour envisager un partage des liquidités. Ceci étant, je constate tout de même que nos deux voisins n'ont pas encore franchi le pas car c'est un sujet complexe sur le plan technique.
Nous y avons toutefois travaillé avec eux. Il y a quelques jours encore, nous échangions avec les Espagnols sur ce sujet. Nous avons déjà fait la même démarche avec les Italiens. Je pense d'ailleurs que si la loi venait à être modifiée, nous pourrions avoir rapidement les moyens nécessaires à une ouverture des liquidités sur le plan international, toujours bien sûr sans préjudice pour les autres objectifs de la régulation.
Enfin, je tiens à dire qu'il est tout à fait possible de mutualiser des masses avec une fiscalité différente. C'est du reste ce que prouve quotidiennement la mutualisation en matière de paris hippiques, quand le PMU par exemple propose des masses consolidées avec des courses et des opérateurs étrangers.
Vous nous confirmez donc aujourd'hui que les discussions en cours entre les marchés italien et espagnol ne sont pas des discussions bilatérales dont la France serait exclue ?
Tout à fait. Je vous confirme que ce sont des sujets sur lesquels nous ne communiquons pas puisque la réponse finale ne nous appartient pas — elle relève de la compétence du législateur — mais que les discussions se poursuivent avec nos partenaires italien et espagnol.
Très bien. Revenons maintenant à des sujets purement franco-français. Vous évoquiez tout à l'heure l'objectif d'attractivité de l'offre légale vis-à-vis de l'offre illégale. À la lumière de toutes les problématiques que l'on vient d'aborder, considérez-vous que cet objectif est aujourd'hui rempli ?
Ce que je constate d'abord, c'est que l'offre illégale est devenue marginale dans les secteurs ouverts à la concurrence. Pour autant, le point d'équilibre à atteindre reste toujours extrêmement fragile. Il faut donc être capable de faire évoluer la régulation du marché pour maintenir ce point d'équilibre.
L'intérêt du régulateur n'est pas qu'il y ait davantage de joueurs, ni du reste qu'il y en ait moins ou même autant. Son intérêt est simplement que les Français puissent jouer dans un cadre sécurisé qui ne pose pas de problèmes de blanchiment et d'addiction. De ce point de vue, les opérateurs illégaux représentent le risque maximum. En matière de poker, le risque est donc que les joueurs qui quittent les tables françaises ne s'arrêtent pas de jouer mais retrouvent le chemin des opérateurs illégaux.
Je constate que dans tous les marchés régulés européens il existe aujourd'hui un phénomène de baisse du montant des mises. Si les joueurs se retrouvent sur d'autres jeux, c'est l'affaire des opérateurs et ça relève simplement de l'attractivité intrinsèque de l'offre. Mais si leur choix se porte sur les opérateurs illégaux pour de mauvaises raisons telles que l'absence de réactivité de la régulation, alors ça devient effectivement le souci du régulateur. Nous travaillons donc sur ces sujets.
Le mot qui revient le plus dans votre discours, c'est réactivité. Il s'agit aujourd'hui d'un point crucial. Quand vous plaidez dans une interview pour le journal Les Échos en faveur d'un renforcement du pouvoir normatif de l'ARJEL, que couvre exactement cette revendication ? Compte tenu du temps de latence dont fait preuve aujourd'hui le gouvernement, est-ce la clé pour avoir l'assurance d'une vraie réactivité ?
La réactivité pourquoi ? Tout simplement parce que quand on compare le marché d'aujourd'hui avec celui de l'été 2010, on constate des évolutions considérables. C'est par exemple le cas au niveau des modes d'accès aux sites. Quand le marché a été ouvert il y a trois ans, l'accès aux sites par l'intermédiaire de smartphones ou de tablettes était marginal. Aujourd'hui, il représente le quart des opérations de jeu enregistrées. Nous avons en conséquence dû faire évoluer notre système d'homologation des logiciels pour nous assurer qu'il n'existait pas de nouvelles vulnérabilités pour les joueurs lorsqu'ils passaient d'un support à un autre. Demain, dans le même ordre d'idées, il y a également l'enjeu de la télévision connectée...
Bref, le marché internet est par nature un marché très technologique et qui évolue très vite. Si vous voulez maintenir un point d'équilibre, il faut nécessairement que le régulateur puisse faire évoluer les normes de régulation avec une certaine souplesse. Nous pensons que s'agissant du marché des paris sportifs en ligne, nous disposons des outils pour le faire. Le législateur nous en a donné la capacité. Mais en ce qui concerne le poker, ce n'est pas le cas. Il y a donc davantage de rigidité : les variantes n'ont pas bougé, la question des liquidités n'a pas été traitée...
À partir de là, la question n'est pas de savoir si les prérogatives en question vont être attribuées à l'ARJEL ou à une autre autorité. Je ne suis pas dans la revendication institutionnelle. Je dis simplement que l'on ne peut pas réguler un marché aussi fluctuant que celui du poker en ligne sans être capable de s'adapter constamment, dans le respect bien sûr des autres objectifs de régulation. C'est cette sonnette d'alarme que je tire.
Est-ce qu'il n'a pas une forme de frustration inhérente au rôle du régulateur ? Vous constatez des zones de friction, vous formulez des propositions pour y répondre, mais au final la réaction législative ou réglementaire se fait désespérément attendre. C'est bien entendu frustrant pour les joueurs. Ça l'est également pour les opérateurs. Est-ce que ça l'est aussi pour vous ?
Écoutez, nous sommes un régulateur qui agit dans le cadre des compétences qui lui ont été attribuées par le législateur. Ça n'a rien de frustrant. Nous avons une compétence d'avis et de conseil et nous en usons lorsque l'on pense que c'est dans l'intérêt de la régulation.
Je comprends par ailleurs très bien qu'il y ait pour le gouvernement des arbitrages à mener sur le plan juridique ou sur le plan financier. Tout cela est très complexe et je n'ai pas à en juger. Personnellement je reste dans mon rôle. Je persiste à penser que pour bien réguler, il faut être capable de s'adapter aux évolutions du marché. Quand il nous semble que les règles doivent être modifiées, nous le disons. Quand elles sont de notre compétence, nous le faisons. Mais il n'y a pas de sentiment de frustration en fonction de l'accueil que les autorités compétentes réservent à nos propositions.
Depuis trois ans, ce manque de réactivité a en partie contribué à la disparition d'un certain nombre d'acteurs, même si le phénomène de concentration du marché que vous évoquiez tout à l'heure a une dimension naturelle et découle également d'autres facteurs. Cette année, cette concentration s'est effectuée pour la première fois au détriment d'acteurs historiques du réseau physique comme Partouche et Barrière...
À propos du phénomène de concentration du marché, il faut faire attention. Si l'on discute des jeux de répartition comme le poker, vous avez une logique intrinsèque à la concentration pour la bonne et simple raison que les joueurs ont besoin de liquidités. Vous pouvez certes "rebeloter" un peu les cartes en ouvrant les tables à des joueurs qui relevaient jusque-là d'autres marchés et d'autres autorités de régulation, mais il restera toujours un phénomène intrinsèque de concentration. Vous le constatez encore davantage pour les paris hippiques, qui auparavant faisaient l'objet d'un monopole.
Par ailleurs, vous avez un marché qui en 2010 a été ouvert à la concurrence et qui a attiré de nombreux acteurs. La disparition de certains d'entre eux par la suite relève avant tout de la loi du marché. Ils n'ont pas obtenu les résultats qu'ils espéraient. Ils n'ont pas réussi à amortir leurs investissements en dégageant les parts de marché escomptées. Ils en tirent les conséquences. Il est tout à fait logique que le marché, trois ans après son ouverture, se concentre autour d'un certain nombre d'opérateurs et que d'autres disparaissent. Tout cela n'est pas très alarmant. Ce qui est alarmant en revanche, c'est la baisse globale du montant des mises.
Bien évidemment, s'il devait y avoir un processus d'hyper-concentration, se poserait alors la question du droit de la concurrence. Mais objectivement je ne crois pas que la question se pose en ces termes aujourd'hui.
S'agissant du poker, deux opérateurs se partagent actuellement près de 80 % du marché. Ils ne communiquent pas pour autant à propos de leurs résultats financiers. Combien d'opérateurs gagnent de l'argent aujourd'hui en France ?
Vous savez bien que tout cela est couvert par le secret des affaires. Je ne peux donc pas vous dire qui gagne et qui perd. La seule chose que je puisse vous dire en comparant l'ensemble des bilans consolidés des opérateurs en 2012 par rapport à 2011, c'est que les pertes d'exploitation de l'ensemble des opérateurs tous secteurs confondus ont été divisées par deux.
En 2012, vous avez par ailleurs un certain nombre d'opérateurs qui ne perdent plus d'argent. Je rappelle à ce sujet que dans un secteur tout juste ouvert à la concurrence, il n'est pas surprenant de perdre de l'argent durant la ou les premières années d'exploitation. C'est même normal compte tenu des budgets marketing et publicitaire qui doivent être mobilisés dans un premier temps. En disant tout cela, je ne minimise pas l'importance des questions fiscales. Je ne suis pas autiste. Je dis simplement par exemple que les pertes d'exploitation en 2012 sont d'un montant significativement inférieur aux budgets marketing et publicitaire des opérateurs. Il y a donc encore des marges et, comme n'importe quels acteurs d'un marché économique concurrentiel, les opérateurs sont en train d'adapter leurs dépenses. En 2013, d'autres opérateurs devraient donc ne plus perdre d'argent.
Voici d'ailleurs un autre élément qui démontre que si la question fiscale ne doit pas être relativisée, elle ne doit pas être non plus être considérée comme le facteur d'explication principal de l'état du marché : les pertes d'exploitation les plus importantes par rapport au PBJ ont été constatées sur le marché des paris sportifs, et non pas sur celui du poker.
En résumé, il y a donc pour vous toute une série de leviers à actionner ensemble (la fiscalité, la liquidité, les variantes...) pour espérer redynamiser le marché du poker. Même si vous êtes optimiste à propos de la parution à court terme du décret relatif aux variantes, êtes-vous d'accord pour dire que cette avancée seule se traduira sans doute par des effets limités ?
Il y a effectivement plusieurs facteurs d'explication à la situation actuelle du poker en ligne, mais je pense que le renouvellement et la diversification de l'offre ne peuvent qu'aller dans le bon sens.
Notre action continue par ailleurs. Comme je vous l'ai dit, l'ARJEL s'est prononcée en faveur d'un changement d'assiette de la taxe et aussi beaucoup, prioritairement, en faveur de l'ouverture des liquidités. Je ne peux donc que vous répondre que nous jugeons ces mesures utiles et nécessaires.
Vous utilisez le terme prioritaire s'agissant de l'ouverture des liquidités...
C'est une question importante. Je ne hiérarchise pas les différentes pistes de réflexion, mais c'est une question importante.
Pour conclure cet entretien, j'aimerais que nous abordions un dernier sujet : celui de la Loi Consommation et de ses implications pour la définition juridique du jeu de hasard. Le projet initial modifiait la définition telle que présentée dans la loi de 2010, mais au final certains amendements ont été abandonnés. Pouvez-vous nous éclairer sur les changements apportés par cette loi en ce qui concerne les jeux d'argent ?
Il y a trois éléments de définition importants qui évoluent avec cette loi :
- plusieurs éléments de la définition des jeux de hasard et d'argent ont été revus, à juste raison, par le législateur. Tout d'abord, s'agissant de la qualification de jeu d'argent, une avance de mise est désormais considérée comme un sacrifice financier, et ce même si les mises sont remboursables. C'est une première évolution qui était souhaitable compte tenu d'un certain nombre d'errements que nous avions pu constater par le passé au détriment des consommateurs.
- ensuite, la part de hasard peut désormais être résiduelle pour que la notion de jeu de hasard et d'argent soit retenue. En clair, on abandonne cette ambiguïté de l'habileté qui l'emporte sur le hasard ou non. La part de hasard peut tout à fait être infime.
- enfin, l'autre aspect important concerne les "skill games" en ligne. Dès lors qu'un jeu d'adresse (qui prétend ne pas avoir de part de hasard) est un jeu d'argent en ligne, alors il existe un principe d'interdiction.
Notre regard sur ces trois évolutions est qu'elles étaient à la fois utiles et souhaitables. Tout cela va dans le bon sens car il existait auparavant un grand flou juridique. Ceci étant, nous pensons aussi s'agissant des jeux d'adresse en ligne qu'il faudra à l'avenir réfléchir à une régulation et donc une ouverture. Il était tout à fait anormal que ces jeux ne soient pas régulés compte tenu des risques qu'ils présentaient. Il fallait donc poser le principe de l'interdiction, mais je pense qu'il faut maintenant pour ces jeux d'adresse réfléchir à ceux qui pourraient être autorisés dans un cadre de droit commun de régulation. C'est un chantier à venir et sur lequel le régulateur s'exprimera sans doute un jour dans le cadre de sa compétence d'avis.
Je ne pense pas que Villotte ait pu dire une telle énormité.
Pour la mobilisation de 2010, ce sont effectivement les joueurs qui ont naïvement découvert à l'ouverture du marché que les rooms ne prendraient pas le prélèvement de l'état à leur charge. Mais c'était une évidence économique, et une évidence pour tous les acteurs du marché. ^^
Pardon, mais les regs étrangers qui viennent chez nous aujourd'hui ne sont pas les regs de cet utopique marché .eu, vu qu'ils sont cloisonnés eux aussi. Et les marchés .it, .es sont également en chute libre, la faute à un fisc qui fait fuir les gros joueurs et des joueurs récréatifs qui sont passés à une autre mode, comme chez nous.
Non, c'est pas clair ton histoire
Le niveau du rake a bien entendu un impact sur le field, mais tu ne peux pas exclure d'autres facteurs en même temps. Et si tu penses qu'"un rake plus bas permet un field plus relevé" comment peux-tu affirmer que "dans l'hypothèse du maintien de la taxe de l'état, on se retrouverait donc avec un field + relevé pour le même rake que maintenant" ? Tu penses que le
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