Le 16 juillet dernier, Hossein Ensan dominait Dario Sammartino et s'adjugeait le pactole de dix millions de dollars du Main Event des World Series Of Poker. Cinq mois plus tard, quel regard porte-t-il sur ce sacre et quel impact a-t-il eu sur son quotidien ? Éléments de réponse dans un long entretien signé Gaëlle.

Salut Hossein et merci d'avoir accepté de répondre aux questions de Club Poker. Remporter le Main Event des World Series est évidemment quelque chose d'incroyable. Qu'as-tu ressenti quand la rivière est tombée et que tu es officiellement devenu champion du monde ? C'était le plus beau jour de ta vie ?
Oui, je crois que c'était une dame de trèfle sur la rivière. Quand j'ai vu cette carte, je me suis senti soulagé. J'avais traversé tellement d'émotions durant les jours précédents : excitation, stress... C'était tout à la fois. C'était fini, j'étais libre. Il n'y a vraiment rien qui puisse expliquer ce moment. Après deux semaines à rester concentré mais aussi tendu, il n'y a aucun mot pour décrire ce sentiment précis. C'était vraiment trop gros, trop intense !
Tu étais le favori en début de table finale puisque tu détenais environ un tiers des jetons en circulation. Comment t'es-tu préparé pour garder la tête froide et rester concentré ?
J'étais second en jetons dès le jour 6 puis chipleader à partir du jour 7, donc en fait j'ai occupé cette position du jour 7 au jour 10, le dernier. Ma force à la table, c'est quand je joue deepstack, quand je bénéficie de suffisamment de latitude pour m'exprimer. J'ai eu la chance de vivre ça durant toutes ces journées. J'ai pu jouer hors de position, mettre la pression sur mes adversaires...
Et j'ai aussi une certaine expérience. Je joue au poker depuis 2002 et je suis passé par de nombreuses tables finales, ainsi que des deep runs conclus lors de jours 5 ou 6. Je pense que ça m'a vraiment aidé.
Dario était l'autre joueur très expérimenté de cette table finale. J'ai toujours eu le plus grand respect pour son jeu. J'ai pu constater en revanche que les autres joueurs étaient plus excités par cette finale. C'est quelque chose que j'ai pu utiliser à mon avantage.
Tu as d'ailleurs déclaré par le passé que "l'expérience est plus importante que les livres". Sur quels aspects du jeu penses-tu que cette expérience a été la clé de ta réussite ?
L'expérience dans les tournois live est vraiment très différente de l'expérience sur Internet. Vous allez forcément commettre des erreurs et apprendre d'elles. Vous les analysez et ensuite vous vous présentez sur le tournoi suivant fort de cette nouvelle expérience. J'ai déjà vu toutes ces situations et toutes ces mains. Je me suis déjà retrouvé dans ce genre de spots de nombreuses fois. Cette longue expérience m'a énormément aidé sur le Main Event car pour gagner il ne s'agit plus seulement de vos cartes, de votre position et de la table. Il y a vraiment plus que ça, tellement de choses à prendre en compte !
Tu étais déjà loin d'être un débutant quand tu as gagné : 2,6 millions de dollars de gains en live, une bague du WSOP Circuit, le trophée de l'EPT Prague 2015, un High Roller, deux autres table finales EPT... Tu n'as plus rien à prouver à présent.
Mon premier gros résultat, c'était un deal à trois lors de l'EPT Barcelone pour 652 000 €. Cette perf' a changé ma vie et ma carrière. Elle m'a donné une bankroll qui m'a ensuite permis de tenter ma chance sur de gros tournois.
J'ai toujours été très attentif à ne pas prendre de risques et à respecter une bonne gestion de bankroll. J'ai toujours choisi des tournois avec une très bonne structure deep, et joué chacun comme si c'était le Main Event. Bien entendu il faut aussi de la chance. J'ai atteint la sixième place de l'EPT Malte en 2015, et ensuite j'ai finalement gagné le Main Event à Prague quelques mois plus tard. Ça a été énorme pour moi. J'ai pris une année sabbatique après ça, sans poker du tout. Je suis juste retourné à Prague l'année suivante pour défendre mon titre. Et me voilà à présent avec le bracelet du Main Event, c'est extraordinaire !
Quels objectifs te fixes-tu à présent ?
Le poker est ma passion. J'ai toujours ressenti une réelle attirance pour ce jeu. J'adore l'adrénaline, les sensations... Tout ça fait partie de ma vie à présent. Je dirais que je consacre 35 % de mon esprit et de mon âme au poker, donc je veux juste continuer. Essayer de gagner, quel que soit le montant. Je veux disputer d'autres tables finales, rester satisfait de ma façon de jouer... J'ai beaucoup voyagé aussi. Les tournois et les EPT, ce n'est pas seulement pour essayer de gagner de l'argent. Je veux aussi simplement pour profiter de cette atmosphère.
Fait intéressant : tu es aussi le joueur le plus âgé à avoir gagné le Main Event depuis Noel Furlong, en 1999, à l'âge de 61 ans. Tu as aussi commencé à jouer professionnellement assez tard, à environ 40 ans. Tu es donc très différent du profil habituel, ce qui tend à démontrer que le Main Event n'est pas que l'affaire de la jeune génération.
Oui, j'ai commencé à jouer au poker en 2002. J'avais environ 39 ans mais je connaissais déjà les bases du poker depuis mes 18 ans, notamment grâce au 5 Card Draw.
Ma variante favorite reste le NLHE avec une structure deep, mais quand on connaît déjà le poker on peut toujours s'améliorer dans d'autres registres avec du Limit, de l'Open Face etc.
Je ne dirais jamais que le poker est destiné uniquement aux personnes jeunes, bien sûr que non. Je dirais que la chose la plus importante est d'avoir une bonne mémoire. Vous devez pouvoir vous rappeler de chaque main et situation si vous voulez réellement vous améliorer. Le poker est un jeu d'expérience. Si vous pouvez vous rappeler de la façon dont vous avez joué une main il y a cinq ans, alors vous pouvez construire votre jeu.
Tu a aussi un passé très différent de ces joueurs professionnels qui ont commencé en tant qu'étudiants. Tu as déménagé en Allemagne depuis l'Iran à l'âge de 25 ans et tu as travaillé comme peintre en bâtiment. Devenir un joueur professionnel, c'était déjà dans un coin de ta tête à l'époque ?
J'ai déménagé en Allemagne quand j'avais 25 ans et je suis allé à l'université de Munster, là où j'habite toujours avec ma femme et ma fille. J'étudiais l'ingénierie civile mais je n'ai en fait jamais terminé mon cursus. J'ai travaillé dans un restaurant, et aussi en tant que chauffeur de taxi le week-end. J'ai fait des tas de petits boulots, mais jamais des jobs de rêve. Il faut bien travailler pour payer les factures.
Par contre, je cherchais constamment des alternatives qui pourraient m'apporter une vie meilleure. J'ai fini par lancer ma propre société en 2002. Je voulais pouvoir jouer davantage au poker et j'avais besoin de revenus stables pour ça. J'ai acheté trois taxis et géré ce petit business. Cela m'a permis de jouer des tournois et de travailler mon jeu. Je ne jouais que des tournois à petit buy-in, environ 500 €, à peu près quatre fois par mois. J'ai vite pensé que j'étais plutôt bon à ce jeu. J'ai atteint la table finale de plusieurs tournois, mais ce n'est qu'en 2009 que j'ai joué pour la première fois des tournois à 1 500 €.
2010 a été une très bonne année pour moi. J'ai gagné plusieurs petits tournois avec des premiers prix d'environ 20 000 €. En 2011, ça a été un moment clé : j'ai gagné un tournoi avec un premier prix de 28 000 € et une Porsche. J'ai vendu la voiture pour 74 000 € et j'ai aussi vendu ma société pour 75 000 €. Tout ça m'a permis de commencer à jouer professionnellement avec une bankroll d'environ 200 000 €. Je voulais vraiment tenter cette vie de joueur pro car j'étais convaincu que j'étais fait pour ça.
C'est ce que j'ai fait jusqu'en 2014, et c'est à ce moment-là que j'ai atteint mon meilleur niveau. Bien sûr j'ai aussi eu de la chance pour me retrouver dans le top 3 de l'EPT Barcelone et gagner 650 000 €. Ce résultat a changé ma vie et me voilà ici aujourd'hui !
À quel moment es-tu allé à Las Vegas disputer le Main Event pour la première fois ?
Je suis venu à Vegas jouer le Main Event en 2016. C'était mon rêve. J'étais très deep au jour 3 et je suis resté dans le top 20 un long moment. Et puis j'ai commis une terrible erreur qui m'a coûté tous mes jetons. Durant les trois années qui ont suivi, j'ai beaucoup travaillé sur mon jeu pour ne plus jamais commettre une telle erreur. Aujourd'hui je peux dire que ça a porté ses fruits.
"Être champion du monde c'est vraiment génial, mais c'est aussi un peu compliqué par certains aspects"

Est-ce que tu retournes en Iran parfois ? Comment est la vie là-bas ?
Oui, l'Iran est ma maison au même titre que l'Allemagne. J'y retourne en moyenne trois fois par an. J'ai une très grande famille là-bas, et aussi beaucoup d'amis. C'est un pays magnifique. Évidemment la situation politique à l'intérieur et à l'extérieur du pays peut être un problème. Les gens ne peuvent pas profiter à 100 % de leur vie là-bas. Mais je tiens vraiment à dire que c'est un très beau pays. J'aime la population et j'adore la nourriture iranienne. Elle est exceptionnelle !
Quelle est la vision des gens là-bas sur le poker et ton succès ?
Ma famille est très fière de moi. Il sont vraiment fiers que je sois devenu champion du monde. Ce n'est pas par rapport à l'argent, même si évidemment dix millions de dollars c'est extraordinaire. Ils sont surtout heureux par rapport au titre. Devenir un champion du monde n'est pas quelque chose qui vous arrive tous les jours. Je suis très célèbre en Iran maintenant.
On t'a vu à Rozvadov sur des gros High Rollers. Tu as même atteint la troisième place du 25K Platinium pour 251 000 €. Il semble que tu ne jouais pas du tout ce genre de tournois avant. Est-ce que c'est un nouveau challenge ?
En fait ça dépend. Si je sens que je suis dans un bon état d'esprit pour aller jouer un High Roller, alors je le ferai. Mais sinon je ne veux pas jouer ce genre de tournois. À Prague par exemple, je me suis classé 28e du Main Event et il y avait le 10 300 € High Roller juste après. J'ai choisi de ne pas le jouer car je n'étais pas dans de bonnes dispositions. À Rozvadov en revanche, j'ai trouvé que le tournoi était intéressant et je me sentais fort mentalement. Mais disputer ce type de tournoi n'est pas vraiment un objectif. J'aime vraiment les structures similaires à celle du Main Event WSOP, avec des blindes d'une heure. La plupart des high rollers ne sont pas comme ça.
Tu n'as pas de compte Twitter et tu t'es créé un profil Instagram juste avant la table finale du Main Event. Quelle est ta vision à propos de la place des réseaux sociaux dans la vie des joueurs de poker ? Qu'est-ce que tu es prêt à partager avec les gens ou pas ?
Je ne dirais pas que je n'aime pas les réseaux sociaux, mais je ne les utilise pas. Ce n'est pas mon truc. J'ai eu un compte Facebook jusqu'en 2015 et quand j'ai gagné l'EPT Prague j'ai reçu une tonne de messages pour me demander plein de choses. Ça a été trop pour moi et j'ai fini par désactiver mon profil. Depuis, je ne l'ai toujours pas rouvert. Concernant Instagram, j'ai vu quelques profils à mon nom qui avaient été créés par des gens pendant le Main Event mais il ne s'agit pas de moi. Je n'ai ouvert mon compte Instagram que très récemment, mais au final je ne m'en suis occupé que trois semaines. J'ai réalisé que ça demandait trop d'efforts pour moi. Je veux garder 65 % de mon temps pour mes amis et ma famille, pour les gens qui n'ont rien à voir avec le poker. Les réseaux sociaux ont tendance à trop empiéter là-dessus donc je m'y refuse.
Est-ce que quelque chose a changé pour toi quand tu arrives sur des tournois ? Comment est-ce que tu gères l'attention des gens et des médias ?
Beaucoup de gens me connaissaient déjà suite à ma victoire sur l'EPT, mais le champion du monde suscite en effet beaucoup plus d'attention. Il y a toujours des interviews, des gens qui veulent une photo ou viennent me parler. J'essaie de concilier et gérer tout ça du mieux que je peux. Être champion WSOP c'est vraiment génial, mais c'est aussi un peu compliqué par certains aspects. Je pense que vous devez représenter le jeu et répondre à toutes ces demandes. Vous devenez un ambassadeur du poker et avec ça, il y a une vraie responsabilité.
Ton heads up était un duel 100 % européen puisque tu as dominé Dario Sammartino. Beaucoup de gens ont été touchés par votre fair-play. Dario a même été réconforté par ton rail après la dernière main, ce qui était une image très belle pour le poker. Est-ce que vous avez créé un lien particulier durant ce tournoi ?
Mon amitié avec Dario remonte même bien avant le Main Event. Quand je suis arrivé à Vegas le 26 juin, j'étais tellement fatigué que je suis allé directement me coucher à mon hôtel. J'ai dormi de 17h à 23h, et puis en me réveillant je me suis demandé quoi faire car il était déjà tard. J'ai décidé d'aller au Rio voir qui s'y trouvait, histoire de discuter un peu. La première personne que j'ai vu en arrivant, ça a été Dario. Il était sur l'une des deux dernières tables du 50K Mixed Games. Il s'est levé de sa chaise pour venir me saluer. Il m'a demandé quand j'étais arrivé, je lui ai souhaité bonne chance etc. Je dois dire que c'est vraiment cool de m'être retrouvé en heads up avec lui, la toute première personne que j'ai croisée en arrivant à Vegas.
Mais je connais Dario depuis déjà quatre ans. Nous avons toujours aimé passer du temps ensemble. J'ai l'habitude de traîner avec lui sur des tournois. Nous avons toujours été très respectueux l'un envers l'autre. Je pense que l'industrie du poker a besoin de tables finales comme celle-là car il s'agit d'un jeu de gentlemen. Je pense que nous devons nous comporter comme des gentlemen les uns envers les autres. Ce business a besoin de ce genre d'images. Je ferai toujours de mon mieux pour représenter le poker comme il se doit. C'est important pour moi d'être un bon ambassadeur. J'aime profondément ce jeu.
As-tu été approché par des rooms? Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait t'intéresser ?
Pas vraiment... J'ai reçu des offres de certains sites, mais j'étais vraiment trop occupé après ma victoire. Entre les interviews et les swaps à gérer, je n'ai vraiment pas eu le temps de m'intéresser à ce genre de choses. Peut-être en 2020. Je n'y ai pas vraiment réfléchi mais je reste ouvert.
Quels sont tes prochains projets, que ce soit au poker ou dans la vie ?
En cette période de fêtes, je veux juste passer du temps avec ma femme et ma fille. Ensuite, pour 2020 j'ai trois principaux projets : je vais aller à Nottingham pour le tournoi partypoker, à Monaco pour l'EPT, et enfin me préparer au mieux pour défendre mon titre à Las Vegas. Je veux uniquement me consacrer au poker à présent. Je n'ai pas d'autres projets, c'est mon unique job. J'ai travaillé suffisamment dans le passé, donc assez c'est assez ! Je veux me concentrer sur mon jeu, faire du fitness, de la méditation, des exercices... Je tiens à être dans les meilleures dispositions pour jouer.
Le 16 juillet dernier, Hossein Ensan dominait Dario Sammartino et s'adjugeait le pactole de dix millions de dollars du Main Event des World Series Of Poker. Cinq mois plus tard, quel regard porte-t-il sur ce sacre et quel impact a-t-il eu sur son quotidien ? Éléments de réponse dans un long entretien signé Gaëlle.
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(crédit : ccn)
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