Aller au contenu
Statuts

Daps

CPiste
  • Messages

    1 788
  • Inscrit(e) le

  • Dernière visite

  • Jours gagnés

    6

Je les aime

Je ne les aime pas trop


Ils m'aiment

Ils ne m'aiment pas trop

Activité de réputation

  1. J’aime
    Daps a réagi à Mr Sneeze pour un billet, Crazy monkey   
    http://www.youtube.com/watch?v=bulibjyaQ0s

    L'esprit est un singe fou. Le poker nous offre une bonne opportunité d'étudier le singe qui est en nous .

    Après être sorti du tournoi Club Poker Series, je marche un peu dans Paris, et inévitablement, la main de mon élimination me revient en tête. D'autres mains reviennent aussi. Est-ce que j'ai vraiment joué mon A-game? Qu'est-ce que j'aurais pu faire différemment?
    Ou encore, j'aurais dû (faire X, ou Y). Quand j'ai commencé à trop penser au conditionnel, je me suis forcé à m'arrêter, et de là de meilleurs choses sont apparues.

    C'est très facile de se remettre en question après avoir bust un tournoi. C'est vrai aussi après une session de cash game perdante, bien que moins intense. J'ai beau avoir de l'expérience, savoir que je vais bust avant la TF dans 95% des MTTs que je joue, j'ai systématiquement un choc après avoir bust d'un tournoi. Même online, alors que j'ai encore 6 tables running! Sortir d'un tournoi, c'est souvent une défaite personnelle.
    Pareil après une session de cash difficile (parfois, remise en cause même après une session gagnante, si ya par exemple un coup que je pense avoir mal joué).

    Quand je lis des posts de joueurs de poker, ou que je les écoute parler, j'observe le même genre de réaction que chez moi: le fameux j'aurais dû. J'aurais dû shove le flop, j'aurais gagné le coup. J'aurais dû attendre de voir le flop, il aurait foldé AK plutôt que toucher son A river! Selon le niveau des joueurs, le 'jaurais dû' sera plus ou moins évolué, stratégiquement parlant. Les 'j'aurais dû' d'un bon joueur seront généralement plus sensés que ceux d'un joueur moins aguerri ; par exemple, un bon joueur pourra se dire qu'il aurait dû quitter la table plus tôt, parce que la fatigue l'a empêché de prendre une bonne décision. Il peut y avoir une leçon à tirer du conditionnel, des choses à travailler pour éviter qu'elles ne se reproduisent.


    Bon donc, alors que je marchais, je me suis rendu compte: quoi qu'il arrive, à chaque fois qu'une session de poker ne se passe pas aussi bien que je l'espère (ce qui va arriver très souvent, le poker étant ce qu'il étant), mon esprit va s'activer et chercher à se rassurer (ou à s'inquiéter, jsuis pas tellement sûr ). C'est là qu'est le singe fou. En permanence en train de naviguer entre passé et futur, il n'arrive pas à se contenter du présent. Pourtant, le présent, c'est la seule chose réelle. J'étais dans le tournoi avant le dinner break, je ne l'étais plus après. De même que je n'étais pas dans le tournoi avant qu'il commence. Pourquoi être affecté par une perte qui n'en est pas une? Certes j'ai perdu le buy-in, mais ça je le savais dès le début non?
    C'est aussi simple que cela.

    Le singe fou, c'est aussi l'attachement. Par exemple, j'ai un gros stack, je vais ship ce tournoi! Wait, il reste 60 joueurs, être chip leader maintenant c'est cool, mais ça garantit pas grand chose. Certains joueurs veulent être big stacks aussi vite que possible, alors même qu'avoir 3 fois l'average au bout de 2h ne garantit même pas d'être ITM, loin de là.

    Situation hypothétique de CG: vous gagnez une tonne. Vous êtes très vite up de 3 ou 4 caves. A la fin de votre session, vous n'êtes plus up que d'une demi-cave. Si on regarde dans l'absolu, c'est certainement un très bon résultat, dépendant de la durée de la session. Pourtant, pour quasiment tout être humain, ce résultat sera perçu comme une défaite. 'Man, j'étais up de X€! Maintenant je ne gagne 'que' Y€ '. Comparez cette situation avec un joueur qui perd plusieurs caves en début de session et finit up de juste 3 big blinds. Sa session lui paraîtra comme une victoire. 'Yes, j'ai remonté la pente!'.
    L'un se sentira mal, l'autre bien. Les 2 ont pourtant torts. Ils ont laissé le singe fou prendre le contrôle, ils se sont laissés séduire par l'attachement, chacun de manière opposée. L'un en s'attachant à la victoire, l'autre à la défaite, considérées en termes de résultat. Nous savons tous que le succès au poker ne dépend certainement pas des fluctuations journalières. Ca n'empêche pas d'être attaché à ces dernières! Même avec de l'expérience.
    On s'attache aussi à d'autres choses. 'put**n combien de temps va durer mon bad run!' Well good news, ce run n'est pas le tien. Il n'appartient à personne, il n'existe même pas, il n'y a que l'illusion de l'attachement. La seule chose qui existe, c'est la main en cours. Ce qui est arrivé la main précédente, ou les 3 millions de mains précédant, n'est pas à vous.

    Accumuler une pile de jetons ne vous garantit rien dans un tournoi. Gagner 3 caves en cash game ne vous rend pas propriétaire de ces caves, en tout cas pas avant que vous quittiez la table (et même en la quittant, l'argent reviendra sûrement au jeu le lendemain, et vous pourrez perdre ces 3 caves à ce moment là!). L'argent en jeu n'est plus à nous, et pourtant il y a cette maladie universellement répandue de l'attachement. De là les montagnes russes émotionnelles du poker. Le singe fou s'amuse de ces montagnes russes, il s'en enivre, il est prompt à l'addiction.
    Mais qui a véritablement envie de se libérer de l'addiction, du high du poker? Il faut savoir ce que l'on veut, et une fois qu'on le sait, se plaindre de la souffrance qu'on alimente devient sans fondement.


    La pensée au conditionnel, la pensée qui cherche à changer le passé ou à se projeter dans le futur ('dans le futur, jamais je spew!), c'est l'ego, la volonté de contrôle. C'est aussi l'enfer. Je ne dis pas qu'il ne faut pas apprendre de nos erreurs, ou anticiper l'avenir. Mais cette compulsivité à remodeler un passé qui nous dérange (par exemple un passé où on perd), c'est l'enfer. Cette tendance n'a pas de limite, chacun l'alimente ou la calme à sa manière, dans la mesure de sa liberté et de son pouvoir.

    'Si seulement j'avais pris la caisse X au supermarché, je serais rentré plus vite chez moi.'
    'Si seulement j'avais parlé plus tôt à cette fille, peut-être que j'aurais eu une chance'.
    'Si seulement je pouvais ne jamais me tromper, je serais un mec génial ! '
    'Si seulement j'avais autant de chance que cet abruti, je gagnerais des millions au poker ! '
    'Si seulement j'étais riche....'

    A ce stade je pense que vous voyez bien à quel point le singe se réveille dès qu'on joue au poker. Mais il est là partout, dans tout ce qu'on fait. Il est chez tout le monde. Qu'on soit joueur ou non-joueur, homme ou femme, français ou indien, pauvre ou riche, en pleine santé ou non.
    Certains travaillent à le discipliner. Certains parviennent à l'observer, d'autres croient qu'ils sont le singe, il s'identifient à ses humeurs. Prendre un pas de côté par rapport à ce qui nous traverse, c'est le premier pas pour sortir de l'ignorance. Cette ignorance n'a rien à voir avec ce qu'on sait, ou ce qu'on ne sait pas. Ce n'est pas une question de connaissance, mais de vision juste.


    Pour ce qui est de mon singe, après qu'il ait commencé à parler au conditionnel, je me suis rendu compte que la remise en cause était sans fondement. Evidemment que j'aurais pu jouer des coups différemment. Evidemment que je fais des erreurs quand je joue. Tout le monde en fait, tout le temps. Evidemment que j'aimerais jouer parfaitement chaque jour, être une sorte de demi-dieu clairvoyant, jamais en proie à l'humiliation et l'impuissance de la défaite. Evidemment que je préférerais gagner tous les coups que je joue (wait, what? ).

    Autant dans le poker que dans la vie en général, j'aurai ce singe qui viendra me parler, et qui cherchera à remodeler passé ou futur, qui cherchera à m'éloigner de la paix du moment présent ; et je serai tenté, à chaque fois. Mais chaque fois que je décide de laisser passer, de me dire 'ce qui est, est', je deviens plus libre. Plutôt que de tourner en boucle, mon corps-esprit s'apaise, et les choses deviennent plus claires. Pas de regret, pas de remords. J'ai fait de mon mieux, et oui, mon mieux est perfectible. Et parfois, je ferai aussi mon pire. C'est ça être humain, nous sommes des créatures fragiles et perfectibles. Est-ce que je vais laisser mon mieux me tourmenter? Mon pire? La variation de mes états? La variation du monde qui m'entoure? Ce que pensent les gens? Le succès qui m'arrive? Les difficultés et échecs que j'affronte?

    Je ne possède rien de tout cela.

    L'impermanence est la réalité de toute chose, le défi de la réalisation pour un humain est d'accorder cette réalité avec le mouvement infini de résistance (l'ego, le refus de notre mortalité, de notre finitude) qui nous anime. C'est cela, être en phase avec l'univers.
    Si le poker m'apprend chaque jour à me libérer, comment aurais-je un jour envie d'arrêter?
English
Retour en haut de page
×