Une introduction aux "solveurs"
J'ai dans les tiroirs un article que j'avais écris pour (feu) so poker n°3, je me dit que tant qu'à faire, autant le poster sur le cp :
Une introduction aux solvers
A haut niveau, le poker façon grand mère est révolu depuis un petit moment. Les recettes de cuisine que l'on pouvait utiliser en s'inspirant des mooves de Durrrr dans High Stakes Poker sont un peu passées de mode...
Les joueurs progressent d'années en année et une approche plus équilibrée ("GTO") est désormais la norme.
Une révolution récente qui a permis à cette approche de faire des pas de géants est l’apparition de solveurs. Il s'agit de logiciels permettant de calculer des équilibres entre adversaires : on rentre un certain nombre de paramètres initiaux (éventails de main, taille des tapis, taille du pot, mises utilisables, etc...), le logiciel mouline et nous propose une stratégie à adopter qui est sensée être « inexploitable ».
Ces logiciels se heurtent à plusieurs limites. En effet, il ne sont utilisables qu'en situations de heads up et les résultats obtenus sont en général très complexes à mettre en œuvre et donc difficilement exploitables.
Ils permettent aussi de dire tout un tas d’âneries si l'on ne fait pas bien attention à ce que l'on fait.
Prenons un exemple pour éclaircir tout ça (si tout se passe bien )
- La situation
J'ai pris comme point de départ une vidéo de Ben Sulsky (Sauce123) sur RunitOnce où il analyse une situation UTG+1 vs Btn sur un flop à l'aide de Piosolver (un des solveur existant sur le marché).
Pour résumer la vidéo, l'idée est d'étudier les profils de continuation-bet de nos adversaires et de s'y adapter correctement.
Bon, il ne s'agit ici évidement pas de faire un résumé de la vidéo, mais de voir assez rapidement comment « marche » un solveur, je ne parlerais que de la situation au flop.
- Les ranges
C'est le premier paramètre que nous allons devoir rentrer dans le solveur. Je ne me contenterai que de reprendre les ranges proposées par Ben Sulsky (ci-dessous). C'est en général un bordel noir de les définir correctement dans une bonne partie des situations. Simplement parce qu'en fonction des joueurs, celles-ci peuvent évoluer une tonne (et que ça va avoir ensuite un effet monstrueux sur les stratégies proposées).
range de relance utg
range de call au bouton
Pour lire ses ranges, le chiffre en dessous des mains correspond à la proportion de ces mains présentent dans les ranges respectives. C'est assez simple pour UTG qui va simplement relancer ou coucher, donc en règle général des 0 et des 1, mais ça devient plus dur à définir quand les joueurs ont aussi l'occasion de 3-bet.
Par exemple Bouton paye 50% des ses suité parce que sa range est certainement construite avec une partie de relance et une partie de call (c'est standard de split ses ranges dans beaucoup de situation pré flop).
Les ranges proposée par Ben Sulsky sont notablement plus large que ce que l'on rencontre habituellement. Pour donner une idée, UTG relance un peu plus de 20% de ses mains. Aux tables en moyenne limite, les ranges d'open varient globalement entre 13 et 20%. Bref, c'est large, mais pas fou non plus. Idem pour la range de call au bouton, qui pour le coup va encore plus varier en fonction des joueurs...
- Les paramètres
Il faut aussi rentrer les paramètres de mises : quels montants par street, possibilité de raise, de donk etc...
Compte tenu de la taille des arbres de calculs, on est assez vite limité en nombre de sizings, en plus d'avoir un résultats qui sera tout à fait inexploitable.
paramètres entrés pour la simulation
Pour le coup, les paramètres rentrés sont au plus simple : une seule taille de mise par street. Ca permet tout de même en général de donner une bonne idée de ce qu'il faut faire.
Une approche classique est de lancer une simulation avec plusieurs sizing (disons 3, par ex 1/3 - 2/3 - 150% pot au flop) pour ensuite sélectionner le majoritaire selon Pio (s'il y en a) et relancer une simulation plus simple ensuite.
- Le calcul
Sur notre ordre, Piosolver mouline. Une fois la précision demandée obtenue (c'est paramétrable aussi), il nous explique ce que l'on doit faire au flop. Commençons par la fréquence de mise d'UTG+1 :
stratégie proposée pour UTG+1, en vert les checks, en rouge les mises
Verdict :
il faut check quasiment tout le temps ! Pour être précis, les fréquences proposées sont miser 6,5 % / check 93,5 %. Cela va pas mal à l'encontre des habitudes que l'on peut voir aux tables...
Cette stratégie est assez simple finalement, voyons ce qui est proposé ensuite pour le Bouton :
stratégie proposée pour le Bouton, en vert les checks, en rouge les mises
Verdict :
Cette fois ci, la stratégie proposée est plus compliquée : 50% check / 50% bet, et pas mal de mains peuvent à la fois miser ou checker, pratique...
Nous pouvons avoir des informations sur la manière dont Piosolver partage les mains en fonction des couleurs des cartes, il suffit de lui demander. Prenons deux exemple : 88 et T9s :
proportion de check / bet en fonction des couleurs des cartes pour 88 et T9s
Dans le cas de T9s, un thème se dégage : nous allons miser les mains avec des tirages flush backdoors. Dans le cas de 88, le thème c'est qu'on en mise une partie, pas particulièrement de logique qui ressort en fonction des couleurs de nos cartes.
Pour pouvoir appliquer les stratégies proposées par les solveurs « dans la vraie vie » il va nous falloir simplifier les résultats. Par exemple dans le cas du bouton à qui UTG+1 à check :
- Les pocket pairs : check 66-TT, miser les nuts (brelans et overpaires 44-55-JJ-QQ)
-
Les As suités : miser les plus petits as sans paires (A2s, A3s, A6s et A7s) + AJs, checker les autres As (ils ont plus de showdown value, donc moins intéret de faire fold des mains en face)
-
Miser KTs, T9s, T8s, 98s avec les backdoor flush draws
-
Au niveau des paires de valets : check les plus mauvais valets (JTs, J9s) et miser tous les autres
-
Deux mains méritent certainement d'être partagées entre miser et checker pour se couvrir si une overcard arrive au turn ou à la river : AQ et KQ (Pio nous propose à peu près du 50/50 entre les deux options)
Pour partager leurs mains, certains joueurs utilisent des « randomize », c'est un logiciel qui affiche un nombre entre 0 et 100 lorsqu'on le lui demande.
Bref à chaque situation que l'on étudie, il faut en tirer des résultats qui soient applicables ET mémorisables, pas évident .
Dans cet exemple, une seule taille de mise a été envisagée d'ailleurs.
Pour information si laisse l’opportunité au bouton de miser 33%, 66% ou 150 % du pot, le solveur n'utilise quasiment que la mise de 66% du pot donc on est pas mal au niveau de nos résultats.
Ce n'est pas toujours le cas, et ça augmente évidement la complexité des situations.
- On change un truc pour voir ?
Un des commentaires sur cette vidéo est assez intéressant : en gros il dit que beaucoup de joueurs réguliers ont tendance à ne pas payer les pocket paires trop petites pré-flop, idem pour les connecteurs assortis.
Cela risque d'avoir un effet extrêmement fort sur les stratégies vu que si l'on enlève 44-55-66-54s-56s de la range du Bouton, on lui enlève une énorme partie de ses nuts (brelans, double paire).
Dans ce cas la stratégie proposée par Piosolver au flop change drastiquement (LOL) :
Euh, le plan c'était pas de check 100% plutôt ??
Cette fois ci, le solveur nous propose de miser 90% du temps ! Autant dire tout le temps... Alors que précédemment la situation était tout à fait inversée.
Le résultat est logique, la présence / absence de nuts dans les ranges des joueurs est extrêmement important au niveau du déroulement de la main.
D'ailleurs certains joueurs de relance pas non plus les plus petites pocket pairs et connecteurs pré flop UTG+1 ...
- Conclusion :
L'idée de cet article était de donner une idée de ce qu'était l'utilisation des solveurs, et aussi de montrer leurs limites (en particulier au niveau de la définition des ranges des joueurs).
Les résultats obtenus sont toujours très complexes à mettre en œuvre, et arriver à tirer des enseignements généraux demande à chaque fois pas mal de travail supplémentaire.
Un petit conseil pour finir quand même : si vous jouez une main contre Jean-Michel Random qui joue 100% de ses mains et arrive pas à lâcher une paire post flop, rangez les solveurs au placard et jouez un bon vieux poker exploitant, l'approche « GTO » n'a d'intérêt pour faire simple que contre des joueurs de très bon niveau (ou inconnus ET qui ont l'air d'à peu près tenir les cartes).
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