La commission des finances du Sénat procédait ce mercredi matin à l'audition d'Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), mais aussi de Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de FDJ United, Nicolas Béraud, président de l'Association française du jeu en ligne (AFJEL), et Grégory Rabuel, président de Casinos de France. L'occasion pour chacun de rappeler ses positions sur les dossiers de la fiscalité des jeux d'argent et de la régulation des casinos en ligne.

Qui a pris trois heures de son temps pour visionner la dernière audition de la commission des finances du Sénat ? À en croire les chiffres d'affluence de la matinée, qui restent bien loin de ceux d'un épisode de Dans la tête d'un pro ou d'un streaming des WSOP, la réponse s'impose : pas grand monde parmi vous. Heureusement, vous savez que dans ces moments-là vous pouvez toujours compter sur Club Poker pour se sacrifier. Ce que vous allez lire ici, vous ne le lirez vraisemblablement pas ailleurs. Les articles chiants, c'est en quelque sorte notre plat signature. Ne nous remerciez pas : on est là pour ça.
"Vous êtes bien gentils, Club Poker, mais après tout qu'est-ce qu'on en a à cirer ?". Vous êtes en droit de le penser, mais en réalité ce type d'audition ne manque pas d'intérêt pour prendre la température de l'industrie et, surtout, remettre à plat les positions de chacun sur quelques épineux dossiers. Les rapports d'activité c'est bien beau, mais rien ne remplace une intervention orale face caméra pour faire transpirer l'exaspération d'un PDG dont l'entreprise vient de subir un alourdissement significatif de sa fiscalité.
De fiscalité, il fut bien évidemment question ce matin. Mais puisque d'autres sujets étaient à l'ordre du jour, au premier rang desquels celui de l'addiction, on vous propose de reprendre les choses dans l'ordre.
L'état des lieux et les objectifs de l'ANJ à moyen terme
De 9h à 10h15, Isabelle Falque-Pierrotin était seule en scène pour répondre aux questions des sénateurs. La présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ) a d'abord souligné dans son propos liminaire que la transformation de l'ARJEL en ANJ, intervenue en 2019, avait pour principal objectif de placer la protection des joueurs au centre de la nouvelle autorité.
Depuis cette date, le marché s'est lui aussi profondément transformé : boom des paris sportifs, croissance de la FDJ, développement du bassin de joueurs, augmentation du niveau de dépenses par joueur… Pour illustrer son propos, Isabelle Falque-Pierrotin a notamment indiqué que le tournoi de Roland-Garros, dernier grand événement sportif en date, avait cette année pulvérisé tous ses records de mises.
Évoquant diverses innovations venues de l'univers des jeux vidéo, mais aussi le recours par les opérateurs à des techniques de marketing avancées, la présidente de l'ANJ a conclu cette première partie de son exposé en indiquant qu'en l'espace de cinq ans, le jeu d'argent était devenu un produit de consommation courante. Avec, s'agissant spécifiquement du marché en ligne, un phénomène de concentration assez marqué en France, où cinq acteurs se partagent plus de 95 % des parts de marché. On vous laisse deviner lesquels : ce n'est pas bien compliqué.
Isabelle Falque-Pierrotin s'est dans un second temps échinée à convaincre de la réussite du travail de régulation de l'ANJ. "Les résultats sont là", a-t-elle insisté avant de rendre hommage à l'amélioration des opérateurs sur le terrain de la protection des joueurs : "Ils ont parfaitement intégré cet aspect de durabilité de leur modèle économique". Bien évidemment, le régulateur met aussi en avant ses propres actions coups de poing : le retrait de la publicité Tout pour la Daronne de Winamax, l'amende de 800 000 € infligée à Unibet, ou encore la multiplication par dix de ses actions de blocage de l'offre illégale (grâce au nouveau mécanisme de blocage administratif).
Mais comme on vous le disait, le cœur du discours du régulateur — et des questions posées par les sénateurs — portait bien ce matin sur le risque de jeu excessif et la protection des mineurs. Deux problématiques dont Isabelle Falque-Pierrotin a assuré qu'elles n'étaient aujourd'hui "pas encore sous contrôle", pointant notamment du doigt les risques spécifiques liés au segment des paris sportifs. La présidente de l'ANJ a ainsi identifié quelques "indices préoccupants", à l'instar du nombre d'inscrits volontaires au fichier des interdits de jeu qui est passé en quelques années de 30 000 à 80 000, avec au sein de cette population une large majorité de jeunes individus. Selon les chiffres de l'ANJ, un tiers des mineurs s'adonnent par ailleurs à des jeux d'argent, avec un âge moyen de découverte des jeux de grattage estimé à 13 ans.
Le régulateur confesse aussi ne pas avoir été rassuré par les signaux constatés depuis le début de l'année 2025. En dépit de l'absence d'événement sportif d'envergure, de fortes tensions concurrentielles émergent entre les opérateurs, lesquels déploient en particulier "des stratégies défensives qui peuvent conduire à des risques de surstimulation des joueurs". Depuis le début de l'année, les dépenses publicitaires seraient en hausse de 11 %.
Les grands chantiers de l'ANJ pour les deux prochaines années sont donc clairement identifiés : enclencher une baisse du nombre de joueurs excessifs ; développer un algorithme de référence qui sera mis à disposition des opérateurs pour faciliter l'identification de ces profils à risque ; et enfin accentuer la pression sur les monopoles (FDJ et PMU) qui, à certains égards, permettent encore une pratique de jeu anonyme.
Le régulateur reformule au passage quelques-unes des propositions déjà soumises au législateur en 2023 :
- réduire la pression publicitaire, par exemple en interdisant les spots de promotion des jeux d'argent cinq minutes avant et après les rencontres sportives ;
- réfléchir à l'encadrement du sponsoring ;
- surbordonner l'accès aux points de vente à la présentation d'un QR Code ;
- entamer une réflexion autour de l'outil fiscal, l'ANJ se disant "favorable à une remise à plat dans le sens d'une cohérence d'ensemble" et soulignant la nécessité de préserver un équilibre entre le rendement fiscal et la viabilité économique des acteurs, lesquels sont aujourd'hui "les plus taxés d'Europe".
Les casinos en ligne : une question d'actualité
Parmi les questions soumises à Isabelle Falque-Pierrotin dans la foulée de cette présentation, on retiendra bien évidemment celle de l'opportunité d'une régulation des casinos en ligne. Sur ce sujet, l'ANJ appelle à "une extrême prudence" car il s'agit à la fois "d'un marché massif et du produit le plus addictif". Comme par le passé, la présidente insiste sur un point important : chez nos voisins européens, l'objectif d'assèchement de l'offre illégale n'a pas été atteint avec la régulation du segment. Si d'aventure le législateur venait à s'engager dans cette voie, l'ANJ appellerait donc de ses vœux "une régulation très stricte", avec notamment des plafonds de mises bien définis et une interdiction de la publicité.
Quelques minutes plus tard, le sujet revenait sur le tapis à la faveur de questions adressées aux autres intervenants. Grégory Rabuel, président de Casinos de France, faisait donc entendre la voix des casinotiers en rappelant à son tour que "dans tous les pays qui ont légalisé les casinos en ligne, le jeu illégal perdure". Avec en prime une problématique propre aux établissements de jeux : en cas de légalisation des casinos en ligne, une étude diligentée par l'ANJ estime que leur PBJ se contracterait de 24 %, que 15 000 emplois pourraient être supprimés et que par dessus le marché, le manque à gagner pour l'État pourrait atteindre 450 millions d'euros.
Mettant en avant un risque local, culturel et de lien social, Grégory Rabuel souligne donc que la position de principe des casinotiers est de s'opposer à cette régulation. Néanmoins, dans l'hypothèse où le législateur venait à s'engager dans cette voie, alors les casinos physiques demanderaient que l'ouverture du secteur leur soit réservée avec une transposition digitale de leur offre de jeux. Les casinos respecteraient alors les préconisations de l'ANJ, à savoir une absence totale de publicité et une éventuelle interdiction à la tranche des 18-24 ans.

Sans surprise, le son de cloche n'était pas tout à fait le même chez Nicolas Béraud. Le président de l'Association française du jeu en ligne (AFJEL), tout en rappelant que son intention n'était pas d'affaiblir les casinos physiques, a martelé que la question qui se posait n'était pas celle de l'ouverture des casinos en ligne. Et pour cause puisqu'ils sont selon lui déjà ouverts à travers une vaste offre illégale. "Le statu quo ce sont des milliards d'euros qui partent à l'étranger", a-t-il asséné avant d'insister sur le fait que la problématique de l'addiction existe déjà en l'absence d'encadrement de cette offre illégale.
Stéphane Pallez a abondé en ce sens en soulignant que la question de la régulation se posait "précisément à cause du marché illégal". À ses yeux et sur la base de l'exemple de nos voisins européens, le jeu illégal ne disparaîtra sans la conjonction d'une politique répressive et une régulation équilibrée. Sur ce plan, la présidente-directrice générale de FDJ United a d'ailleurs pris soin de saluer la réussite de la régulation à la française, avec un marché des paris sportifs qui "s'est développé malgré des conditions plus strictes qu'ailleurs en Europe".
La fiscalité des jeux d'argent : l'autre cheval de bataille

Par conditions plus strictes, entendez notamment fiscalité plus lourde. Et sur ce sujet, la présidente-directrice générale de FDJ United a abandonné son ton laudateur pour se livrer à une véritable diatribe des dispositions intégrées au Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale (PLFSS). Stéphane Pallez assure en effet que ces dispositions ont déjà eu un impact majeur sur le Groupe FDJ, qui en 2025 n'enregistrera pas de croissance pour la première fois depuis 2019. En cause, un prélèvement direct sur le chiffre d'affaires ("Ce n'est pas de la fiscalité comportementale") et dont le rendement net s'avèrera finalement "assez faible pour l'État". Perplexe face à cet alourdissement de la fiscalité, elle souligne que la croissance régulière de l'entreprise permettait jusqu'alors systématiquement de générer des recettes fiscales supérieures à ce qui était attendu.
"Le sujet sur lequel nous sommes tous alignés, avec mes collègues, est bien celui de la fiscalité écrasante", lance Grégory Rabuel. Une déclaration aussitôt confirmée par Nicolas Béraud. Le président de Betclic estime qu'en additionnant toutes les taxes auquel les acteurs du secteur sont assujettis, le taux de prélèvement atteint 67 % là où il plafonne entre 10 et 35 % partout ailleurs en Europe. L'expression "matraquage fiscal" est lâchée.
Le président de l'AFJEL y voit l'une des causes d'une exception française : les jeux en ligne ne représentent toujours que 18 % du marché des jeux d'argent de l'Hexagone, contre 39 % en moyenne chez nos voisins. "La France est en retard", regrette-t-il en déplorant la concurrence déloyale des opérateurs illégaux, dont l'offre s'avère plus attractive faute de taxes. "Un immense problème" renforcé par la hausse de fiscalité décidée cette année.
"Faut-il remplacer le modèle actuel par une taxe unique sur le PBJ ?", interroge un sénateur. "Une refonte fiscale est nécessaire", répond Nicolas Béraud en pointant du doigt les dernières évolutions : selon lui, "une hausse de fiscalité dramatique, décidée en catimini et sans concertation", dont les conséquences n'ont pas ailleurs pas été mesurées. Sans le contredire, Stéphane Pallez met en avant un problème plus large d'instabilité fiscale. Le mieux est-il alors l'ennemi du bien ? La présidente-directrice générale de FDJ United lâche en conclusion une petite phrase qui en dit long : "Difficile d'imaginer que les réflexions en cours aboutiront à une baisse de la fiscalité".
La commission des finances du Sénat procédait ce mercredi matin à l'audition d'Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), mais aussi de Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de FDJ United, Nicolas Béraud, président de l'Association française du jeu en ligne (AFJEL), et Grégory Rabuel, président de Casinos de France. L'occasion pour chacun de rappeler ses positions sur les dossiers de la fiscalité des jeux d'argent et de la régulation des casinos en ligne.
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