La Maison de la Chimie accueillait hier un colloque sur le thème suivant : "Un an après son adoption, quelle mise en œuvre de la loi sur la libéralisation des jeux d'argent en ligne ?". Après un premier débriefing hier soir à l'occasion d'une édition spéciale de Club Poker Radio, voici plus en détail ce qu'il faut retenir de cette réunion, en particulier s'agissant du poker en ligne.
Outre le bilan des premiers mois de l'ouverture, cette réunion présidée par le sénateur François Trucy et le député Jean-François Lamour avait pour objectif avoué d'ouvrir la phase de réflexion et de consultation en vue de la clause de revoyure prévue à la fin de l'année.
De nombreux acteurs institutionnels, au premier rang desquels des élus et des opérateurs de poker et de paris hippiques et sportifs, s'étaient donc donné rendez-vous pour débattre autour de quatre tables rondes :
- Une loi, des changements ?
- La clause de revoyure : quelles attentes ?
- La loi a-t-elle permis des avancées en matière de santé publique ?
- Regards européens sur la loi française.
En résumé, les débats se focalisèrent donc successivement sur le bilan des premiers mois post-ouverture du marché, les ajustements qui pourront éventuellement être apportés à la loi, la thématique de l'addiction et de sa prévention, et enfin un élargissement à la lumière des réformes adoptées par nos voisins européens que sont la Belgique et l'Italie.
En préambule, Jean-François Lamour a d'abord tenu à rappeler la philosophie générale de ce colloque : "un point d'étape" entre la promulgation de la loi et la mise en oeuvre de la clause de revoyure. Le vice président du Comité Consultatif des Jeux a également indiqué les deux objectifs qui, selon lui, doivent guider une prochaine révision de la loi : "l'offre de jeux en ligne doit rester attrayante" et "les supports de jeux doivent faire l'objet d'une surveillance efficace".
Deux objectifs généraux dont la plupart des acteurs institutionnels se sont accordés, hier, à dire qu'ils étaient d'ores et déjà atteints. Et ce même si "le socle réglementaire était par nature appelé à évoluer", de l'aveu même du Sénateur Trucy. En bref, si la clause de revoyure n'accouchera vraisemblablement pas d'une révolution, un certain nombre d'"ajustements" seront en tout cas apportés à la loi.
Troisième intervenant de la phase introductive du colloque, Jean-François Vilotte a dressé un premier bilan de l'Autorité de Régulation des Jeux en Ligne, dont il assure la présidence. Rappelant les différents chiffres présentés à l'occasion de la cérémonie des voeux de l'ARJEL, il a notamment souligné la vitalité du poker en ligne, dont le marché est aujourd'hui "le plus actif".
Surtout, il s'est félicité d'un net affaiblissement du "marché illégal", "la mauvaise monnaie ayant massivement cédé la place à la bonne monnaie". Cette philosophie a d'ailleurs trouvé un écho quelques heures plus tard dans la bouche de François Baroin. Venu clore la journée de travail, le Ministre du Budget s'est montré clair quant au principal objectif qui guidera l'action de l'ARJEL et du gouvernement dans les prochains mois : "cibler les 10 à 15 % de joueurs qui contournent les interdictions via l'utilisation de logiciels illégaux".
Revenons en toutefois aux premières heures de débats, et en particulier à l'intervention d'un opérateur de jeux en ligne en la personne de Nicolas Béraud, Président de Betclic Everest Group et de l'AFJEL, l'Association Française du Jeu en Ligne récemment créée par Betclic, Chilipoker, EverestPoker, France-Pari, Sajoo et Zeturf.
Ce dernier a ainsi identifié un certain nombre de lacunes de la loi, en particulier s'agissant des paris en ligne :
- un captage seulement partiel des joueurs du .com
- en matière de paris, des côtes dans l'ensemble non attractives à cause de la taxe étatique
- un taux de retour aux joueurs insuffisant et préjudiciable aux joueurs réguliers
- l'impossibilité de proposer des jeux de chance, de hasard et de casino
Illustrant son argumentaire avec le renoncement de Canal+ à s'immiscer sur le marché, Nicolas Béraud a en conclusion formulé trois propositions :
- une taxation sur le Produit Brut des Jeux (PBJ) et non plus les mises (aussi bien pour les paris sportifs que le poker)
- un élargissement du périmètre d'activité aux jeux de chance et de casino
- une dissociation entre l'activité en dur et en ligne, afin d'instaurer les conditions d'une concurrence saine
Quelques intervenants plus tard, c'était au tour de Bertrand Bélinguier de prendre la parole. Le président de la Fédération Française des Entreprises de Jeux en Ligne (FFEJEL), qui réunit EurosportBET, La Française des Jeux, le Groupe Lucien Barrière et le PMU, a lui aussi taché d'identifier quelques perspectives d'amélioration, que ce soit au niveau de la simplification du parcours client ou du développement des outils de lutte contre l'offre illégale.
Mais surtout, comme son alter ego de l'AFJEL, Bertrand Bélinguier s'est dit favorable à une taxation sur le Produit Brut des Jeux (PBJ) plutôt que sur les mises. En dépit de nombreuses divergences entre les opérateurs de jeux en ligne, illustrées par leurs regroupements sous des bannières distinctes (AFJEL et FFEJEL), cette proposition semble donc rallier la plupart d'entre eux.
Du côté des acteurs institutionnels, aucune opposition de principe ne s'est du reste faite jour sur ce point, même si Jean-François Vilotte a attribué aux coûts de publicité et de bonus, davantage qu'à l'assiette de la taxe, les faibles marges aujourd'hui réalisées par certains opérateurs.
Il fallut ensuite attendre de longues minutes avant que le mot "poker" soit à nouveau prononcé. Du côté du PMU, c'est ainsi surtout au niveau des paris que des ajustements sont souhaités, comme par exemple l'autorisation du pari à handicap.
Dans un autre registre, Georges Tranchant, Président et fondateur du Groupe Tranchant, a profité de la tribune qui lui était offerte pour mettre en balance la souplesse octroyée aux opérateurs en ligne et les lourdeurs administratives qu'il subit en tant que casinotier (par exemple pour ouvrir de nouvelles tables de poker dans ses établissements). Il a également émis le souhait que l'instauration de jeux de casino en ligne soit réservée prioritairement aux casinos en dur.
A cette intervention succéda celle d'Emmanuel de Rohan Chabot, Directeur général de Zeturf France. Une prise de parole particulièrement détonnante et dont la philosophie générale était de replacer le joueur au coeur de l'échiquier, et pas uniquement le joueur addictif comme c'est, selon lui, trop souvent le cas aujourd'hui. En marge d'observations spécifiques aux paris hippiques, il a lui aussi évoqué un changement d'assiette de la taxe.
A l'heure de clore cette 2e table ronde dédiée à la clause de revoyure, Jean-François Vilotte reprenait la parole pour identifier les principaux axes qui devraient guider durant les prochains mois la réflexion des différents acteurs :
- l'attractivité de l'offre légale
- le respect de l'éthique
- la lutte contre l'addiction
- la lutte contre le blanchiment
- les retours aux filières sportives
Saisi par Jean Arthuis, Sénateur de la Mayenne, de la question des bonus de dépôt, le Président de l'ARJEL a par ailleurs de nouveau indiqué que ces derniers feraient prochainement l'objet de débats quant à leur futur encadrement.
Quant au sujet du calendrier, eu égard notamment au souhait de François Baroin de repousser les discussions fiscales à "l'après élections de 2012", Jean-François Vilotte a souligné que la revoyure pourrait s'opérer en plusieurs temps. Si la question fiscale est ajournée, rien ne semble donc s'opposer à de premiers ajustements dès la fin de l'année. Une position d'ailleurs partagée par François Trucy, comme il a eu l'occasion de le préciser hier soir durant Club Poker Radio.
Marqués par une intervention musclée de Patrick Partouche (parlant manichéisme et regrettant, notamment, la liberté dont bénéficie la Française des Jeux en comparaison des contraintes auxquelles sont assujettis les casinotiers), les débats portant sur la lutte contre l'addiction ont mis en lumière de nouvelles pistes en vue de la clause de revoyure.
Après avoir estimé que l'addiction avait fait office de "bonne conscience du politique" et que la question avait été insuffisamment traitée par la loi (seul l'angle de la prévention ayant, selon lui, été abordé), Jean-Luc Vénisse, psychiatre, a capté l'attention de Jean-François Vilotte avec une série de propositions dont il est vraisemblable que certaines seront intégrées à une prochaine réforme :
- ajouter une mention du temps de jeu aux tables
- permettre au joueur de s'auto-limiter en temps de jeu en début de session
- d'une façon générale, offrir plus de visibilité au dispositif. Par exemple sous la forme de pop-up à intervalles réguliers.
- une interdiction de certains types de bonus
Le Président de l'ARJEL en a profité pour rebondir sur la question des "modérateurs de jeu", c'est-à-dire les valeurs de limitation des dépôts ou des sommes engagées durant une période donnée. Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des joueurs définiraient eux-mêmes ces modérateurs, les autres s'en remettant aux valeurs enregistrées par défaut.
Jean-François Vilotte s'est donc dit favorable à la fin de ces valeurs par défaut, de même qu'à une prochaine "interdiction de réalimenter son compte au cours d'une session de jeu". Une dernière proposition au passage accueillie froidement par Patrick Partouche.
Enfin, la dernière table ronde a permis à des intervenants belge et italien de présenter en détail les conditions dans lesquelles leurs législateurs respectifs ont abordé la question de la régulation.
Cette "prise de recul" sur le plan communautaire devrait d'ailleurs prendre un tour nouveau dans les prochains jours. En effet, c'est en principe demain que Michel Barnier présentera devant la Commission Européenne son Livre Vert sur les Jeux en Ligne. Ce document de propositions se focalisera sur cinq thèmes :
- la protection des consommateurs
- la prévention des problèmes sociétaux
- la lutte contre la fraude et le blanchiment
- le financement des "bonnes causes" et du sport
- la mise en oeuvre des lois
Très attendu par de nombreux intervenants du colloque, ce Livre Vert pourrait, de l'aveu de plusieurs d'entre eux, constituer une première étape vers une harmonisation sur le plan communautaire.
Et qui dit harmonisation dit aussi possibilité, à terme, de décloisonnement partiel. Interrogé concernant l'impossibilité des joueurs français d'affronter leurs homologues étrangers à l'occasion des plus grands tournois en ligne, Jean-François Vilotte a mis en avant les divergences des standards de régulation nationaux pour s'opposer à un prochain décloisonnement. Toutefois, il a également précisé à cette occasion que si harmonisation il devait y avoir à l'avenir, une telle mesure d'ouverture pourrait être mise en oeuvre entre les Etats concernés.
Enfin, il était écrit que le dernier mot reviendrait à François Baroin, Ministre du Budget et accessoirement responsable de la clôture des débats. Après un premier bilan concordant avec celui dressé un peu plus tôt par le Président de l'ARJEL, le Ministre y est donc allé d'une liste de priorités d'action :
- la question des monopoles. Il a rappelé son opposition à l'ouverture à la concurrence des monopoles en dur.
- la préservation du bon ordre social et la lutte contre l'addiction. Une vaste étude serait actuellement en cours.
- la lutte contre le marché illégal et le blanchiment. Il souhaite "cibler les 10 à 15 % de joueurs qui contournent la loi", évoquant même la piste du blocage des gains.
- l'aménagement de l'offre légale et des obligations imposées aux opérateurs agréés. Si le Ministre se dit ouvert au renforcement comme à l'allègement de ces obligations, il souhaite en revanche que l'offre légale soit aménagée "à périmètre constant". Aucun élargissement en vue donc.
- la situation des filières sportives
- la question de la fiscalité. Compte tenu du peu de recul dont il dispose, François Baroin estime à titre personnel qu'il n'est pas pertinent d'envisager une refonte à court terme. Une observation en adéquation avec sa volonté de repousser à l'été 2012 les discussions relatives à la fiscalité.
Enfin, le Ministre a eu l'occasion d'appuyer des propos tenus plus tôt, en son absence, par le Président de l'ARJEL. Ainsi, il ne faut "pas attendre de la revoyure des bouleversements majeurs, mais plutôt des ajustements". Espérons donc simplement que ces ajustements intègreront les préoccupations exprimées par les joueurs.
C'est en tout cas la volonté affichée de François Trucy qui, comme il l'a rappelé hier soir, compte accorder à ces derniers une place importante dans le cadre d'une prochaine phase de consultation.
Pour rappel, le Sénateur prépare en effet un rapport de propositions qu'il devrait soumettre au gouvernement en septembre. Un rapport qui pourrait, en toute logique, constituer un véritable socle de réflexion en vue de la fameuse et très attendue clause de revoyure.
La Maison de la Chimie accueillait hier un colloque sur le thème suivant : "Un an après son adoption, quelle mise en œuvre de la loi sur la libéralisation des jeux d'argent en ligne ?". Après un premier débriefing hier soir à l'occasion d'une édition spéciale de Club Poker Radio, voici plus en détail ce qu'il faut retenir de cette réunion, en particulier s'agissant du poker en ligne.
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La première table ronde de la journée (à gauche, François Trucy ; au centre, Jean-François Lamour).
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