Depuis son premier sacre au Rio en 2010, Chance Kornuth s'est solidement installé dans le paysage high roller. L'Américain a également fondé il y a peu sa propre plateforme de coaching. Gaëlle est allée à la rencontre de ce joueur connu, entre autres qualités, pour sa jovialité à la table.

Salut Chance et merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Ton premier gros résultat remonte à 2010, avec un bracelet WSOP et un gain supérieur à 500 000 $ sur le 5 000 $ Pot Limit Omaha. Comment décrirais-tu ton évolution dans le poker depuis ?
À cette époque, je me contentais de jouer et n'étudiais pas vraiment mon jeu. Je me suis aperçu que je me débrouillais bien dans cette variante, surtout parce que peu de gens la maîtrisaient à l'époque. Depuis, tout le monde a progressé. Il existe tellement d'outils pour s'améliorer. Étudier est devenu indispensable pour rester au plus haut niveau.
Tu soutiens l'idée de prendre des shots sur des limites supérieures au cours de sa carrière, ce qui va plutôt à l'encontre des principes de bankroll management. Peux-tu en dire plus ?
Je pense évidemment qu'une bonne gestion de bankroll est importante, mais il faut aussi être capable parfois de risquer une partie de son capital quand un très bon spot se présente. Je n'encourage pas à prendre part à une partie très difficile, mais quand on déniche une grosse table avec un niveau général faible, ça peut valoir le coup de tenter sa chance. Dans une grosse partie de cash game avec de la profondeur et des joueurs d'un mauvais niveau, vous serez toujours le grand favori et vous gagnerez de l'argent la plupart du temps. Certains spots présentent beaucoup d'intérêt, même si de prime abord les enjeux semblent élevés.
Tu as accumulé plus de six millions de dollars de gains sur le circuit live. Quel a été le moment le plus fort émotionnellement ?
La victoire pour le bracelet en 2010, c'était clairement le moment le plus joyeux. Après ça, je suis devenu beaucoup plus professionnel. Quand vous débutez, tout ce que vous voulez c'est une grosse victoire et plus d'argent. Mais votre regard évolue et ce sentiment s'estompe au fil du temps.
Tu es aussi un habitué de la planète high roller. Alors que le poker devient de plus en plus mathématique, surtout sur ces fields très denses, tu crois toujours dans l'importance des tells à la table. C'est une approche un peu old-school, non ?
Je pense vraiment que les tells sont sous-estimés à bien des égards. L'attitude de votre adversaire quand il se trouve au top de sa range, ou au contraire tout en bas, c'est un élément essentiel. Au sein de l'élite, la plupart des joueurs ont naturellement appris à cacher tout ça. Mais parmi les joueurs plus moyens, et a fortiori les récréatifs, il existe encore beaucoup d'opportunités de déceler des tells et de les mettre à profit.
Tu es aussi le fondateur de Chip Leader Coaching. Peux-tu nous en dire plus sur ce site ?
Nous avons créé un programme qui permet aux joueurs de tournois à buy-in moyen de s'améliorer et de passer au niveau supérieur. On propose des combinaisons de sessions de coaching individuelles et collectives, un forum, des leçon, des replays de mains et tout un tas d'autres outils. On a aussi pas mal de vidéos que nos membres peuvent télécharger et visionner à leur guise.
Pourquoi avoir décidé de te lancer dans le secteur du soutien et de l'apprentissage ?
C'est une idée de mon associé, John Beauprez. Il fait ça depuis longtemps dans l'univers du cash game, et il a pensé que ce serait une bonne chose d'étendre cette activité aux tournois. On a décidé de monter ça ensemble et ça nous plaît vraiment. C'est un travail enrichissant, et pour tout dire je ne m'y attendais pas. J'ai longtemps voulu être prof, mais le salaire n'était pas des plus motivants. Et puis ensuite j'ai découvert le poker. Il y a une certaine ironie dans le fait qu'aujourd'hui je me retrouve à enseigner dans un domaine que j'affectionne.
Comment devient-on un bon coach ?
C'est quelque chose qui vient avec la pratique, tout simplement. J'étais plutôt médiocre au début, mais j'ai progressé au fil du temps. J'articule mieux mes idées, je les expose de manière simple et claire... En un mot, je suis plus à l'aise.
Quels sont tes prochains projets, que ce soit au poker ou dans la vie ?
Ma femme et moi, on vient d'acheter une maison à Las Vegas. On la fait construire en fait, donc c'est quelque chose qui nous occupe pas mal en ce moment. Le design, l'aménagement du jardin... Pour l'instant c'est notre principal projet, et on adore ça !
Quand tu t'es hissé à la troisième place du PCA en 2015, tu as déclaré dans une interview : "J'essaie juste de devenir un adulte maintenant". Trois ans plus tard, quel est le bilan ?
J'ai un crédit et une maison pour la première fois de ma vie, donc je dois dire que j'ai le sentiment d'être un adulte ! C'est important de concevoir le poker comme un vrai boulot, plutôt que de juste gambler et prendre du bon temps. J'essaie juste de faire les choses de façon plus professionnelle et sérieuse.
Quel a été ton plus gros gamble durant ta carrière ?
Mmmh, j'ai joué avec une profondeur de 500 000 $ en cash game et c'était assez fou. Aujourd'hui je dispute beaucoup plus de tournois que de parties de cash game. Les swings sont parfois difficiles à encaisser aussi. Être un pro de tournoi ce n'est pas évident émotionnellement. On peut vivre plusieurs deep runs sans vraiment gagner d'argent pour autant, et on peut bien évidemment passer à côté de l'argent de façon régulière sur la durée. Gérer les mauvaises périodes, c'est souvent très difficile. On peut bien jouer ou enchaîner les petites places payées sans que ça fasse vraiment de différence. Ce n'est pas le moyen le plus simple de gagner sa vie.
"Puisqu'on doit rester assis autour d'une table, autant essayer de rendre ce moment agréable pour nous et pour les gens."

À propos de ta vie de joueur de cash game, tu as déjà eu l'occasion d'évoquer un pot de plus de 450 000 $. C'est ton plus gros à ce jour. Comment ça s'est passé ?
Oh mon dieu, je ne suis même pas sûr de m'en rappeler ! Je jouais en PLO au Rio et j'ai 3-bet 3J9T doublé suité. Je me suis fait 4-bet pour environ 45 000 $ et j'ai payé. Le croupier a dévoilé un flop AQx avec deux cœurs. J'ai donc check-call mon tirage couleur et ma ventrale pour 90 000 $. Il y avait environ 270 000 $ au milieu et c'est un J qui est apparu ensuite. J'ai envoyé mon tapis de 185 000 $ et mon adversaire a couché un brelan d'as, ce qui était assez surprenant. C'était un coup plutôt bizarre car il a d'abord misé au turn, et puis quand je lui ai fait remarquer que je n'avais pas encore check il a repris sa mise... avant de se coucher sur mon shove. C'était vraiment une main marrante.
Sur le circuit, les gens te connaissent comme une personnalité extravertie. Tu passes rarement inaperçu et tu discutes toujours beaucoup à la table. Est-ce que ça a toujours été le cas ?
Oui, je dois dire que j'adore les gens. Enfin, la plupart ! Ce que je pense, c'est que puisqu'on doit rester assis autour d'une table la plupart du temps, autant rendre ce moment agréable. C'est notre travail et ça me semble dommage de ne pas interagir avec les gens. J'essaie toujours de profiter de leur compagnie.
Tu as participé à de nombreux tournois live. Quelle est la chose la plus dingue à laquelle tu as assisté ?
Ce n'est pas vraiment drôle, mais j'ai assisté à la crise cardiaque d'un de mes partenaires de table. Des médecins sont intervenus rapidement mais c'était flippant.
Tu vis à Las Vegas et ta fiche Hendon Mob atteste de ta participation régulière à des tournois locaux. Quel est ton spot favori ? Toujours le Bellagio ?
Aujourd'hui je dirais que c'est l'Aria. C'est une super poker room pour le cash game. Les séries de tournois du Venetian sont géniales aussi, et le Wynn et le Bellagio proposent également des trucs sympas. Tout dépend des périodes en fait.
Il paraît qu'à tes débuts, tu as en quelque sorte réquisitionné le compte poker de ton père...
Oui, à l'époque il jouait sur un site qui s'appelait PokerRoom. Avec mon frère, on voulait vraiment essayer. On jouait un peu à la fac, alors on a débarqué en lui disant : "Papa, désolé, mais on reprend ton compte !". On lui a gagné pas mal d'argent. Ce qui était vraiment cool sur cette plateforme, c'est qu'on pouvait se connecter sur deux ordinateurs en même temps. Du coup mon frère jouait en Hold'em et moi je m'installais sur une table de PLO. On ouvrait huit tables et on se mettait l'un à côté de l'autre. Quand il avait les as, je reprenais sa table et ça la fermait sur son écran. C'était cool de jouer ensemble.
Sur quels aspects penses-tu avoir besoin de t'améliorer aujourd'hui ?
Sans aucune doute ma patience et mon humilité. D'autant qu'à mes yeux, ce sont les deux qualités les plus importantes au poker.
Dernière question : quels sont les premiers conseils que tu donnerais à des débutants ?
Je leur dirais de s'abonner à Chip Leader Coaching ! Mais sinon, ce qui me semble important c'est de faire des études et d'avoir de bonnes bases sur le plan mental. À partir de là, vous pouvez vous mettre au travail et essayer d'améliorer votre jeu.