par XDaemon

Le poker est un jeu à haute variance. Même un joueur (très) gagnant subira de lourdes défaites. Pour limiter cette variance, on peut avoir recours au "Run it twice".

Introduction au "Run it twice"

Le "Run it twice" est une variante dans le déroulement d'un coup de poker, quand les joueurs sont à tapis avant la river. Vous l'avez peut-être découverte dans les épisodes de la célèbre émission de GSN High Stakes Poker (on peut par exemple voir des "Run it twice" à 2 ou 4 tirages dans l'épisode 5 de la 6e saison).

Le "Run it twice" consiste à diviser le pot en N parts égales (N = 2 dans la plupart des cas, mais parfois 3, 4 ou même 5) et à tirer successivement N fois les cartes manquantes pour constituer le tableau complet. À chaque tirage, le jeu gagnant gagne la fraction du pot correspondante (1/N), puis on écarte les cartes tirées et on en tire de nouvelles.

Par exemple, les joueurs partent à tapis au flop. On tire alors deux tournants et deux rivières (en brûlant des cartes à chaque fois) ; le meilleur jeu constitué par les cartes privatives + le flop + le tournant 1 + la rivière 1 prend la première moitié du pot et le meilleur jeu constitué par les cartes privatives + le flop + le tournant 2 + la rivière 2 prend la seconde moitié du pot.

Impact sur les chances de gagner le coup et intérêt

Le "Run it twice" a la particularité intéressante de conserver l'équité des joueurs à tapis tout en réduisant la variance.

Le fait que l'espérance mathématique (l'équité) soit conservée paraît parfois contre-intuitif car le résultat d'un deuxième tirage particulier sera influencé par le résultat du premier (en fonction des cartes qui sont sorties). Il faut en fait comprendre qu'en moyenne cela s'équilibre, et que l'équité sur chaque tirage est la même.

 

Commençons par un exemple simple avant de voir quelques raisonnements et démonstrations plus formelles.

Un exemple simple (plusieurs rivières)

Deux joueurs partent à tapis au tournant, avec respectivement Carte As de cœurCarte As de carreau et Carte 8 de piqueCarte 8 de trèfle sur un tableau Carte As de piqueCarte 10 de cœurCarte 8 de carreauCarte 2 de trèfle. Le deuxième joueur n'a qu'un out (Carte 8 de cœur) sur les 43 cartes restantes. Calculons l'équité du deuxième joueur avec un ou deux tirages.

 

Soit:

  • P(1) la probabilité que la première rivière soit Carte 8 de cœur
  • P(0) = 1 - P(1) la probabilité que la première rivière ne soit pas Carte 8 de cœur
  • P(1,1) = 0 la probabilité que la deuxième rivière soit Carte 8 de cœur quand la première rivière est Carte 8 de cœur
  • P(0,1) la probabilité que la deuxième rivière soit Carte 8 de cœur quand la première rivière n'est pas Carte 8 de cœur

 

un seul tirage:

  • EV(joueur 2) = P(1) x Pot
  • EV(joueur 2) = ¼4 x Pot
  • EV(joueur 2) = 2.27 % x Pot

 

deux tirages:

  • EV(joueur 2) = P(1) x [ Pot/2 + P(1,1) x Pot/2 ] + P(0) x [ 0 + P(0,1) x Pot/2 ]
  • EV(joueur 2) = ¼4 x [ Pot/2 + 0 x Pot/2] + 4¾4 x [ 0 + ¼3 x Pot/2 ]
  • EV(joueur 2) = ¼4 x Pot/2 + ¼4 x Pot/2 = ¼4 x Pot
  • EV(joueur 2) = 2.27 % x Pot

 

Étonnant, non? Et le raisonnement donne le même résultat pour trois rivières tirées ou plus.

 

Pour le moment, le "Run it twice" n'est disponible online que sur Full Tilt Poker, sur certaines tables (essentiellement high stakes). Certains casinos l'autorisent également dans les parties à gros enjeux, si les joueurs le demandent et sont d'accord. La réduction de la variance et le fait que le résultat du coup soit plus proche du résultat "moyen" prennent alors tout son sens.

 

Voici maintenant quelques démonstrations de la conservation de l'équité et de la réduction de la variance. Dans tout ce qui suit, on néglige les cartes brûlées - qui ne changent rien

Démonstration de la conservation de l'équité par la logique (d'après David Sklansky)

Cette démonstration est fondée sur le fait que, tant qu'on n'a pas regardé les cartes, il est équivalent de les tirer depuis n'importe quel mélange du paquet.

 

Imaginez que vous faites deux tirages tournant + rivière. Vous allez donc tirer les deux premières cartes pour le premier tirage et les deux suivantes pour le second. Tant que les cartes sont inconnues, la probabilité de gagner avec les deux premières est la même que la probabilité de gagner avec les deux suivantes. Imaginez que vous ne fassiez qu'un tirage : que vous tiriez les deux premières ou les deux suivantes est équivalent d'un point de vue probabiliste.

 

Donc, la probabilité de gagner chaque moitié du pot est égale à la probabilité de gagner tout le pot avec un seul tirage. Appelons-la P. On a alors :

  • EV(2 tirages) = P x Pot/2 + P x Pot/2 = P x Pot = EV(1 tirage) donc
  • EV(2 tirages) = EV(1 tirage)

Le même raisonnement tient pour n'importe quel nombre de tirages et n'importe quel nombre de cartes tirées (1, 2 ou 5).

Démonstration de la conservation de l'équité en utilisant le dénombrement

D'après un message de ken7.

 

Cette démonstration utilise le fait que, par définition, le calcul de l'équité se fait en comptabilisant le nombre de tableaux favorables et en le divisant par le nombre total de tableaux possibles. Quand plusieurs tirages sont effectués, ces dénombrements peuvent se simplifier.

 

Dans un premier temps, on se place dans le cas où les deux joueurs à tapis ont décidé de tirer deux rivières. Il y a 52 - 2 - 2 - 4 = 44 cartes inconnues. Pour la première rivière, on peut tirer n'importe laquelle de ces 44 cartes inconnues. Pour la seconde, on va tirer l'une des 43 cartes inconnues restantes.

 

L'astuce est de se rendre compte que sur l'ensemble de tous les seconds tirages possibles, chacune des 44 cartes inconnues va être tirée en second 43 fois, une fois pour chaque première autre carte possible.

 

Donc, sur l'ensemble de tous les tirages de la seconde carte, on va trouver 43 fois les 44 cartes. Toutes les cartes sont ainsi équiprobables et la probabilité de gagner est donc la même que sur 1 fois 44 cartes, soit la probabilité de gagner avec un tirage. Les probabilités de gagner chaque moitié du pot sont ainsi égales à la probabilité de gagner tout le pot avec un seul tirage et comme dans le raisonnement précédent, on voit ainsi que l'équité est préservée.

 

Il est relativement simple de généraliser ce raisonnement. Par exemple supposons maintenant que les joueurs partent à tapis préflop, et qu'ils décident de faire deux tableaux complets de 5 cartes. On appelle C(n,k) le coefficient binomial dénombrant le nombre de sous-ensembles de k éléments choisis parmi n: C(n,k) = n ! / (k ! (n - k) ! )

 

Il y a 52 - 2 - 2 = 48 cartes inconnues. Le premier tirage va donc être un des C(48,5) tableaux possibles, et pour chaque premier tableau, il y a C(43,5) deuxièmes tableaux possibles. Sur l'ensemble de tous ces deuxièmes tableaux possibles, si on regarde chacune des C(48,5) combinaisons de 5 cartes parmi 48, on se rend compte qu'elle va être tirée une fois chaque fois que le premier board ne contiendra pas une de ses 5 cartes. Cela arrive précisément dans C(43,5) cas.

 

Donc, l'ensemble de tous les deuxièmes tableaux possibles est en fait C(43,5) fois les C(48,5) combinaisons de 5 cartes parmi 48. La probabilité de gagner des joueurs sur le second board est donc la même que sur le premier, et donc comme précédemment l'équité est conservée.

Démonstration probabiliste de la conservation de l'équité et de la réduction de la variance

Démonstration inspirée d'un post sur 2+2

Cette démonstration se place "simplement" dans le cadre générique de la théorie des probabilités.

 

Soit x et y les variables aléatoires représentant l'équité qu'ont les joueurs respectivement sur le premier et le second tirage (peu importe le nombre de cartes). Avant tout tirage, les variables sont indépendantes aussi E(x) = E(y) où E(x) est l'espérance de la variable x. Par définition de l'espérance en probabilités, on a:

E(x + y) = E(x) + E(y)

E(c*x +c*y) = c*(E(x) + E(y))

où c est n'importe quelle constante.

 

L'équité que les joueurs possèdent sur l'ensemble des deux tirages est définie par E((x+y)/2), et:

E((x+y)/2) = E(x/2+y/2) = E(x/2) + E(y/2) = ½*(E(x) + E(y)) = ½*(2*E(x)) = E(x)

On voit ainsi que l'équité sur deux tirages, et par extension sur n'importe quel nombre de tirages, est la même que sur un seul tirage.

 

 

De la même manière que E(x) = E(y) on a Var(x) = Var(y), où Var(x) est la variance de la variable aléatoire x. De plus on a:

Var(c*x) = c² * Var(x)

pour n'importe quelle constante c.

 

Si les cartes étaient remélangées entre chaque tirage, ces derniers seraient complètement indépendants. Or la variance de la somme de deux variables aléatoires indépendantes est égale à la somme des variances de ces variables. On obtientrait donc pour variance de la somme des deux tirages:

Var((x+y)/2) = Var(x/2 + y/2) = Var(x/2) + Var(y/2) = ¼*(Var(x) + Var(y)) = ¼*(2*Var(x)) = ½*Var(x)

Si les cartes étaient remélangées et les tirages ainsi indépendants, la variance serait divisée par 2.

 

Cependant les cartes ne sont pas remises dans le paquet après un tirage, aussi les tirages ne sont pas indépendants. De manière générale, on a:

Var(x+y) = Var(x) + Var(y) + 2*Cov(x,y)

où Cov(x,y) est la covariance des variables x et y. Par définition:

Cov(x,y) = E(x*y) – E(x)*E(y)

 

Or y dépend du résultat de x au sens que si x correspond à un succès, y sachant x a une probabilité supérieure de correspondre à un échec. Les variables x et y sont donc anti-corrélées, E(x*y) < E(x)*E(y) et Cov(x,y) < 0.

 

Ainsi, de manière générale, on a nécessairement Var((x+y)/2) < Var(x/2) + Var(y/2) = ½*Var(x) et donc la variance sur l'ensemble de deux tirages est toujours inférieure à la moitié de la variance d'un seul tirage. Ce résultat se généralise bien entendu à un nombre quelconque de tirages.

Conclusion

Le "Run it twice" est une variante dans le déroulement d'un coup qui peut prendre place quand les joueurs sont à tapis avant la river.

 

Il consiste à diviser le pot en plusieurs parties égales et à tirer un tableau pour chacune d'elles, le meilleur jeu avec un des tableaux gagnant la partie du pot correspondante.

 

La particularité de ce procédé est de préserver l'équité des joueurs dans le coup tout en réduisant la variance du résultat final. Il est ainsi souvent utilisé dans les parties high stakes où les joueurs cherchent à limiter l'impact de la variance sur leurs résultats.

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