Il y a quelques jours, une toile appartenant à la célèbre série "Dogs playing poker" a été adjugée pour un montant de 658 000 $ lors d'une vente aux enchères américaine. L'occasion de revenir sur l'origine de ces peintures et sur l'artiste qui les a produites : le méconnu Cassius Marcellus Coolidge.
Parmi toutes vos vieilles photos de vacances figurent sans doute quelques clichés de "Comic Foregrounds", ces grandes planches sur lesquelles sont peints des personnages dont la tête est remplacée par un trou destiné à accueillir les visages des touristes. Eh bien ce petit moment de grâce lors duquel vous avez été immortalisé en Superman, en Shrek ou en lanceuse de marteau, vous le devez à Cassius Marcellus Coolidge (1844-1934).
Cette invention n'est toutefois pas le plus grand fait d'armes de ce drôle de bonhomme qui, de l'autre côté de l'Atlantique, est parfois qualifié de "plus célèbre des artistes américains dont personne n'a jamais entendu parler". La faute à une série d'œuvres aussi kitsch que bien ancrées dans la mémoire populaire : les chiens jouant au poker.
Au terme d'une carrière pour le moins hétéroclite (directeur d'école, employé du secteur bancaire, fonctionnaire, journaliste...), Coolidge approche déjà la soixantaine quand, en 1903, il se voit confier par la société publicitaire Brown & Bigelow une mission faisant parfaitement écho à sa fibre artistique : réaliser plusieurs peintures destinées à promouvoir une marque de cigares.
Depuis ses 25 ans, Coolidge prend régulièrement plaisir à peindre des chiens anthropomorphes. Ce thème de prédilection va lui servir de fil rouge pour cette nouvelle série de toiles. Au nombre de seize, les peintures imaginées dans le cadre de cette commande mettront en scène des chiens dans une grande diversité situations : en pleine partie de billard, dans le public lors d'un match de baseball ou d'un procès, festoyant à l'occasion du Nouvel An... Mais surtout, neuf d'entre elles montreront les canidés en train de jouer au poker.
Les œuvres de Coolidge figuraient déjà sur des boîtes de cigares depuis les années 1870. Cette nouvelle fournée a elle vocation à illustrer des calendriers édités par la même marque. Néanmoins, la série de peintures rencontre très vite un joli succès et le sexagénaire se décide donc à céder les originaux au plus offrant. Les tableaux trouveront preneur pour des montants compris entre 2 000 et 10 000 $. Des sommes conséquentes pour l'époque, mais sans commune mesure avec l'envolée des prix du siècle suivant.
Dans les années 70, le règne du kitsch fait entrer le travail de Coolidge dans une nouvelle dimension. Ses toiles de chiens deviennent cultes et sont déclinées autour d'une grande variété de produits commerciaux : calendriers, posters, mugs, T-shirts... Pourtant, il faut encore attendre trois décennies avant que la valeur des originaux ne se mette réellement à flamber.
En 1998, l'une des toiles de la série consacrée aux chiens est adjugée pour un montant de 74 000 $ lors d'une vente aux enchères organisée par Sotheby's. Sept ans plus tard, deux des plus célèbres peintures à l'huile de la collection (A Bold Bluff et Waterloo) sont estimées entre 30 et 50 000 $ : elles sont finalement vendues à New York pour la somme astronomique de 590 000 $.
L'impressionnante inflation aurait pu s'arrêter là. Il n'en est rien, comme en a fait la démonstration il y a quelques jours une nouvelle vente aux enchères organisée par Sotheby's. À cette occasion, une toile intitulée Poker Game et datant de 1894 a en effet fait le bonheur d'un collectionneur anonyme pour la bagatelle de 658 000 $. Le moment est peut-être venu d'aller faire un tour dans le grenier de mamie...